Un Monde Sans Fin
des chiens courants. Ce spectacle la désespéra, tout
comme la vue d’un lièvre traqué l’emplissait chaque fois de pitié. Ce sentiment
n’avait rien à voir avec la justice, uniquement avec le fait que Sam était une
proie.
Acculé, le jeune homme se jeta à l’eau.
Mungo, qui était resté sur le chemin dallé devant la maison,
s’élança vers le pont.
Deux de ses hommes se débarrassaient déjà de leur arme, de
leurs bottes et de leur manteau pour se précipiter dans la rivière en chemise.
Leurs compagnons, sans doute parce qu’ils ne savaient pas nager ou ne tenaient
pas à se mouiller par un temps glacial, demeurèrent sur la berge. Les deux
nageurs se lancèrent à la poursuite de Sam.
Le jeune homme était musclé, mais il devait se dépêtrer de
son épais manteau d’hiver gorgé d’eau qui le tirait vers le fond. Les hommes de
Mungo grignotaient la distance à chaque brasse. Caris ne pouvait détacher les
yeux de cette horrible chasse.
Un cri retentit du haut du pont : le sergent ordonnait
aux deux récalcitrants de monter le rejoindre. Ils s’exécutèrent. Lui-même le
traversait déjà à toutes jambes.
Sam atteignit la rive opposée au moment précis où les
nageurs allaient le rattraper. Titubant sur ce terrain bosselé, il s’élança,
tout en secouant la tête pour s’ébrouer. Las, son vêtement détrempé entravait
ses mouvements. Il jeta un coup d’œil en arrière. Par chance, l’un des
poursuivants, quasiment sur ses talons, venait de trébucher. Profitant qu’il
chutait en avant, Sam lui flanqua un coup de sa botte remplie d’eau en plein
visage. Le volontaire bascula en arrière avec un cri.
Son collègue, plus prudent, veilla à rester hors de portée
de Sam. Mais celui-ci avait déjà repris sa course et foulait maintenant l’herbe
du cimetière. Subitement, il s’immobilisa, l’autre l’imita. L’homme d’armes se
gaussait de lui ! Le comprenant, Sam bondit sur lui avec un hurlement de
rage. Le persécuteur voulut s’enfuir. La rivière l’en empêcha et il se
retrouva, de l’eau à mi-mollets, incapable d’accélérer sa course. Sam put enfin
l’attraper.
Le saisissant par les épaules, il l’obligea à se retourner
et lui assena un violent coup de tête. On entendit un craquement de nez brisé.
Sam le projeta sur le côté et le malheureux s’écroula dans la rivière, en sang.
Le fugitif voulut remonter sur la berge. Hélas, Mungo l’y attendait
de pied ferme. À présent, Sam se trouvait en contrebas, gêné par le courant. Le
sergent marcha sur lui et pila sur place, le laissant avancer. Il brandit sa
grosse massue au-dessus de sa tête. C’était une feinte. Sam sut l’esquiver.
Hélas, il ne put échapper à la seconde tentative.
Le coup était d’une violence inouïe, Caris en resta aussi
estomaquée que si elle l’avait reçu elle-même. Sam mugit de douleur.
Instinctivement, il porta les mains à son crâne. Habitué à lutter contre de
solides gaillards, Mungo profita de son geste pour lui balancer son gourdin
dans les côtes. Le jeune homme s’effondra dans l’eau. Arrivés au bout du pont,
les deux autres volontaires s’étaient élancés sur la berge. Ils se jetèrent sur
leur proie et la maintinrent au sol pendant que leurs deux compagnons, mus par
un sentiment de vengeance, rouaient Sam de coups. Ils ne se calmèrent que
lorsqu’il ne se débattit plus.
Ils le hissèrent alors sur la berge. Là, Mungo s’empressa de
lui lier les mains dans le dos, puis ses hommes escortèrent le prisonnier
jusqu’en ville.
« Quelle horreur ! laissa échapper Caris. Pauvre
Gwenda. »
83.
À chaque session du tribunal du comté, la ville de Shiring
entrait en ébullition et prenait des airs de carnaval. Les auberges des
alentours de la grand-place ne désemplissaient pas. Dans leurs habits du
dimanche, les clients réclamaient à boire et à manger. La ville profitait de
l’occasion pour tenir un marché, naturellement, et les étals des commerçants
patentés étaient si nombreux qu’il fallait bien une demi-heure pour parcourir
l’esplanade d’un bout à l’autre. Par dizaines, les marchands ambulants
arpentaient les allées : les chanteurs des rues armés de leur violon se
faufilaient entre les boulangers lestés de plateaux croulant sous les petits
pains ; des prostituées affichaient leurs charmes sans vergogne, à deux
pas des frères lais qui prêchaient la bonne parole ; des montreurs d’ours
attisaient la
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