Un Monde Sans Fin
son destrier !
— Ne pars pas, mon fils, insista Wulfric. Reste à
Wigleigh et jouis d’une longue existence. »
Voyant Sam fléchir, Ralph intervint : « Très bien.
Tu as entendu ce que t’ont dit ta mère et ce paysan qui t’a élevé. La décision
te revient. Que veux-tu faire ? Continuer à herser les champs à Wigleigh
avec ton frère ou fuir ce lieu ? »
Sam n’hésita pas longtemps. Après un regard coupable à ses
parents, il se tourna vers Ralph : « J’accepte. Je serai écuyer et je
vous remercie, mon seigneur !
— Bien, mon garçon. »
Gwenda éclata en sanglots. Wulfric l’entoura de son bras
pour la réconforter. Se tournant vers le comte, il demanda : « Quand
doit-il partir ?
— Aujourd’hui même. Après le repas de midi. Il rentrera
à Château-le-Comte avec Alan et moi.
— Pas si tôt ! » s’écria Gwenda.
Personne n’y prêta attention.
« Va quérir les affaires que tu souhaites emporter,
dîne avec ta mère et reviens m’attendre aux écuries, ordonna Ralph à Sam.
Pendant ce temps, Nathan se chargera de réquisitionner une monture pour toi...»
Ces affaires étant réglées, il lança d’une voix forte : « Eh
bien ! Où est mon écuelle ? »
Wulfric et Gwenda se retirèrent avec leur aîné. David
s’attarda. Avait-il découvert le saccage de ses cultures ou avait-il un autre
motif ?
« Que veux-tu ? jeta Ralph.
— J’ai une faveur à vous demander, mon seigneur. »
Que ce paysan qui avait eu l’insolence de planter de la
garance dans la forêt vienne le supplier ravissait le comte. « Avec ta
carrure, tu ne veux quand même pas devenir écuyer ? ricana-t-il. Tu n’es
pas plus gros que ta mère ! »
Alan éclata de rire.
« Je veux épouser Amabel, la fille d’Annet.
— Voilà qui va déplaire à Gwenda !
— Dans moins d’un an, je serai en âge de me marier sans
son accord. »
Ralph n’avait évidemment pas oublié la paysanne qui l’avait
envoyé à la potence. Son destin était lié au sien d’une façon presque aussi
intime qu’il l’était à celui de Gwenda.
« Annet possède de grandes terres, si je ne me trompe.
— Oui, mon seigneur. Elle accepte de me les céder le
jour où j’épouserai sa fille. »
Ces requêtes se voyaient d’ordinaire exaucées d’autant plus
volontiers qu’elles n’étaient pas seulement pour le seigneur une source de
revenus appréciable, grâce aux droits de mutation, mais également le moyen
d’exercer un chantage sur ses paysans. Toutefois, rien n’obligeait un seigneur
à accéder à la demande de son serf. Ce droit du seigneur de faire souffrir ses
paysans par pur caprice était l’un des griefs majeurs des serfs.
« Je refuse qu’Annet te transmette ses terres. Vous
n’aurez qu’à vous nourrir de garance, ton épouse et toi ! » conclut
Ralph avec un large sourire.
87.
Se faire nommer évêque de Kingsbridge, Philémon n’avait
encore jamais poussé la témérité aussi loin. Caris allait devoir tout mettre en
œuvre pour que cela ne se produise pas. Hélas, la finesse avec laquelle il
avait manœuvré ne laissait pas augurer d’un résultat heureux pour elle. Si par
malheur elle perdait la lutte, elle perdrait du même coup toute autorité sur
l’hospice de l’île aux lépreux qui passerait sous la tutelle de Philémon. Le
prieur aurait alors tout pouvoir pour réduire à néant l’œuvre de sa vie. Et ce
ne serait pas le pire des changements qui interviendraient sous sa
férule ! Car il remettrait à l’honneur l’orthodoxie aveugle de jadis, il
nommerait dans les villages des prêtres aussi impitoyables que lui, il
fermerait les écoles pour les filles et il stigmatiserait l’amour de la danse
dans tous ses sermons.
Mais si Caris n’avait pas son mot à dire dans la désignation
de l’évêque, elle n’était pas dénuée de tout moyen de pression.
Sa première visite fut pour l’évêque Henri. Ce fut
accompagnée de Merthin qu’elle se rendit à Shiring. Le malheureux père profita
du voyage pour scruter sous leurs coiffes toutes les jeunes filles brunes
qu’ils croisèrent en chemin et fouiller des yeux la forêt qui s’étendait des
deux côtés de la route. Malheureusement, ils atteignirent Shiring sans rien
avoir appris sur Lolla.
Le palais épiscopal se dressait sur la grand-place, en face
de l’église, à côté de la bourse à la laine. Comme ce n’était pas jour de
marché, l’esplanade n’accueillait
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