Un Monde Sans Fin
le bras.
« Tu lui as drôlement rabattu son caquet, s’exclama
Gwenda en riant nerveusement.
— Elle m’a agacée. C’est à cause de filles comme elle
que les femmes ont mauvaise réputation.
— Elle est ravie que Wulfric se soit fait tabasser pour
elle. Je lui arracherais les yeux avec un des ces plaisirs !
— En dehors de sa beauté, qu’est-ce qu’il a, ce
garçon ? demanda Caris d’un air pensif.
— Il est solide, fier, loyal. Du genre à se battre pour
son honneur. Mais aussi à s’inquiéter des siens sans relâche, une année après
l’autre, jusqu’au jour de sa mort. »
Comme Caris ne répondait rien, Gwenda ajouta :
« Il ne t’a pas plu ?
— De ce que tu en dis, il a l’air un peu benêt.
— Si tu avais eu un père comme le mien, tu ne
trouverais pas bête de vouloir à tout prix pourvoir au bien-être des siens.
— Je sais, répondit Caris en serrant le bras de Gwenda.
S’il est effectivement comme tu le dis, je pense qu’il serait un homme
merveilleux pour toi. Pour te le prouver, je vais t’aider.
— Comment ça ? s’ébahit Gwenda qui ne s’attendait
pas à pareille proposition.
— Suis-moi. »
Elles quittèrent la foire et se dirigèrent vers le nord de
la ville. Caris conduisit Gwenda jusqu’à une petite maison dans une rue écartée
de la paroisse Saint-Marc. « Ici vit une femme de grande sagesse »,
dit-elle.
Laissant leurs chiens dehors, les deux amies se glissèrent
sous une porte basse et débouchèrent dans une longue pièce étroite divisée en
deux par un rideau. La première moitié était occupée par une chaise et un banc.
La cheminée devait se trouver au fond, pensa Gwenda, étonnée qu’on puisse
vouloir cacher ce qui se passait dans la cuisine. La salle était propre. Il
planait une puissante odeur d’herbe légèrement acide qui, sans être un parfum,
n’était pas déplaisante. « Mattie, c’est moi ! » annonça Caris
du seuil.
L’instant d’après, une femme écartait le rideau et
s’avançait vers elles. Âgée d’une quarantaine d’années, elle avait les cheveux
gris et le teint pâle des personnes qui ne sortent pas souvent. À la vue de
Caris, elle sourit. Dévisageant durement Gwenda, elle déclara : « Je
vois que ton amie est amoureuse, mais que le garçon en question ne fait pas
attention à elle. »
Gwenda ne put cacher sa surprise. « Comment le
savez-vous ? »
Mattie se laissa tomber lourdement sur la chaise. Elle était
pesante et s’essoufflait rapidement. « Les gens viennent me voir pour
trois raisons : la maladie, la vengeance et l’amour. Tu m’as l’air en
bonne santé et tu n’as pas l’âge d’être taraudée par la vengeance. Reste
l’amour. Et le garçon pour qui tu as des sentiments ne doit pas s’intéresser à
toi, sinon tu ne viendrais pas me demander de t’aider. »
Gwenda jeta un coup d’œil à Caris. Celle-ci exultait.
« Je te l’avais dit que c’était une sage ! » Les deux amies
prirent place sur le banc et attendirent la suite d’un air anxieux.
« Il habite probablement près de chez toi ; dans
ton village, je suppose. Mais sa famille est plus riche que la tienne.
— C’est vrai ! » s’écria Gwenda, stupéfaite.
Elle se rendait compte que Mattie lançait ses affirmations au petit bonheur la
chance, mais ce qu’elle disait était si proche de la vérité que Gwenda aurait
juré qu’elle avait le don de double vue.
« Est-il beau ?
— Très.
— Et il est amoureux de la plus jolie fille du village,
n’est-ce pas ?
— Si on aime ce genre de beauté.
— Sa famille à elle est plus riche que la tienne,
n’est-ce pas ?
— Oui. »
Mattie hocha la tête. « Air connu. Je peux t’aider.
Mais tu dois d’abord bien comprendre que ce que je fais n’a rien à voir avec le
monde des esprits. Dieu seul est capable d’accomplir des miracles. »
Cette remarque laissa Gwenda perplexe. Tout le monde savait
que les esprits des morts avaient la haute main sur les aléas de la vie. S’ils
étaient contents de vous, ils faisaient tomber les lapins dans vos pièges, vous
donnaient des bébés en bonne santé et faisaient briller le soleil sur votre
champ de blé. Mais si vous les aviez irrités d’une façon ou d’une autre, ils
pouvaient mettre le ver dans vos pommes, donner à votre vache un veau mal formé
et rendre votre mari stérile. Même les médecins du prieuré reconnaissaient que
les prières aux saints
Weitere Kostenlose Bücher