Un Monde Sans Fin
apprentis sorciers aux confins de la ville,
chez une pauvresse qui pratiquait la médecine, sidérait Gwenda. Il était vrai
que Caris s’était toujours intéressée aux maladies et aux façons de les
traiter, se rappela Gwenda en la regardant composer le mélange. Petite fille,
elle voulait déjà être médecin et ne comprenait pas que le clergé soit seul
autorisé à étudier la médecine. Gwenda n’avait pas oublié l’étonnement de Caris
quand on lui avait annoncé que l’état de sa mère empirait :
« Pourquoi faut-il que les gens tombent malades ? » Mère Cécilia
avait répondu que c’était à cause de leurs péchés ; Edmond, quant à lui,
avait expliqué que personne ne le savait vraiment. Aucune de ces réponses
n’avait satisfait Caris. Peut-être était-elle toujours à la recherche de la
bonne réponse et espérait-elle la trouver ici, dans la cuisine de Mattie ?
Caris versa le liquide dans une fiole minuscule et la ferma
à l’aide d’un bouchon qu’elle entoura d’une cordelette nouée bien serrée.
Gwenda cacha la fiole dans la bourse de cuir attachée à sa
ceinture. Comment parviendrait-elle à retenir Wulfric toute une heure auprès
d’elle ? Elle avait parlé à la légère en prétendant qu’elle trouverait
bien une solution. Maintenant qu’elle était en possession du philtre, la tâche
lui paraissait impossible. Wulfric s’impatientait dès qu’elle lui adressait la
parole. Il ne souhaitait qu’une chose : être auprès d’Annet à tout moment
de la journée. Par quel moyen le convaincre de rester en tête-à-tête avec
elle ? Lui dire : « Je voudrais te montrer un endroit où pondent
les canards sauvages...» ? Wulfric n’était pas idiot, même s’il était
naïf. En lui révélant une cachette dont elle aurait dû faire profiter sa propre
famille, il se douterait immédiatement qu’elle avait une idée derrière la tête.
Caris remit à Mattie douze pennies d’argent, l’équivalent de
ce que gagnait Pa en deux semaines. « Merci, Caris, s’écria Gwenda.
J’espère que tu viendras à mon mariage. »
Caris éclata de rire. « C’est ça qui me fait
plaisir : redonner confiance aux gens ! »
Elles dirent au revoir à Mattie et revinrent à la foire. En
chemin, Gwenda se promit de découvrir où Wulfric logeait à Kingsbridge. Il
devait être descendu dans une auberge puisque sa famille était trop riche pour
réclamer l’hospitalité au monastère. L’air de ne pas y toucher, elle lui
demanderait le nom de cette auberge, à lui ou à son frère. Par curiosité, tout
simplement. Pour savoir quelle était la meilleure hôtellerie de la ville.
Croisant un moine en chemin, Gwenda se rappela son frère,
honteuse soudain de ne pas avoir cherché à le voir. Pa ne s’inquiéterait
certainement pas de lui ; il l’avait toujours détesté. Mais Gwenda
l’aimait beaucoup malgré son côté sournois, menteur et malveillant, et Philémon
le lui rendait bien. Ils avaient souffert ensemble de la faim, de si longs
hivers. C’était décidé : sitôt qu’elle aurait revu Wulfric, elle partirait
à sa recherche.
À quelques pas du champ de foire, les deux amies tombèrent
sur le père de Gwenda devant l’auberge de La Cloche, qui jouxtait le portail du
prieuré. Il était accompagné d’un homme en tunique jaune, portant un paquet sur
le dos et menant une vache. Apercevant sa fille, Pa lui fit un grand geste du
bras. « J’ai trouvé une vache ! »
Gwenda examina la bête. Elle avait dans les deux ans et
n’était pas bien grosse. Elle n’avait pas non plus l’œil placide, mais à
première vue elle paraissait en bonne santé. « Elle m’a l’air très bien,
déclara-t-elle.
— Je te présente Sim le Colporteur », dit le père
en désignant du pouce le propriétaire de la vache avec lequel il s’entretenait,
un homme à l’air mauvais.
Les colporteurs voyageaient de village en village pour y
vendre toutes sortes d’articles courants – des aiguilles à coudre, des boucles,
des miroirs à main, des peignes. Cette vache avait peut-être été volée, mais
quelle importance, si le prix demandé était juste.
« Où as-tu trouvé l’argent ? s’enquit Gwenda.
— En fait, je ne la paie pas vraiment, répondit le
père, gêné.
— Alors comment fais-tu ? » demanda-t-elle
sans s’étonner.
Son père arrivait presque toujours à ses fins par des moyens
peu catholiques.
« Disons que c’est un
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