Un Monde Sans Fin
« Par le Christ, t’as
vraiment choisi un laideron. »
Peut-être qu’Alwyn ne voudrait rien faire avec elle, espéra
Gwenda et, pour une fois, sa laideur la réjouit.
« J’ai pris ce que j’ai trouvé, répliqua Sim avec
humeur. Si sa fille avait été belle, le père ne me l’aurait pas échangée contre
une vache. Il l’aurait mariée au fils d’un riche lainier. »
En entendant ces mots, Gwenda fut prise de fureur à
l’encontre de son père. Ainsi, depuis le début, Pa avait su ce qui l’attendait
ou, tout du moins, s’en était douté.
« C’est bon, c’est bon ! Ne monte pas sur tes
grands chevaux. De toute façon, avec seulement deux femmes, les gars sont au
désespoir.
— Tam dit qu’il vaudrait mieux attendre jusqu’à demain
parce qu’ils ont trop bu. Mais c’est à toi de décider.
— Il a raison. La moitié ronflent déjà comme des
sonneurs. »
Les craintes de Gwenda diminuèrent. Quelque chose pouvait
encore se produire durant la nuit.
« Bon, dit Sim. Je suis crevé moi aussi. » Se tournant
vers Gwenda, il ajouta : « Couche-toi, la fille ! » Pas une
seule fois il ne l’avait appelée par son prénom.
Elle se laissa tomber au sol et s’allongea. Avec la corde
qui lui avait servi de longe, Sim lui attacha les mains derrière le dos et lia
ensemble ses deux pieds. Puis Alwyn et lui s’étendirent de chaque côté d’elle.
Quelques instants plus tard, ils dormaient du sommeil du juste.
Le sommeil fuyait Gwenda, malgré son épuisement. Comment
trouver une position confortable lorsque vous avez les deux mains ligotées dans
le dos ? Elle tenta en vain de faire jouer ses poignets à l’intérieur des
liens, mais Sim les avait serrés si fort et noués si solidement qu’elle ne
faisait que s’écorcher la peau sans autre résultat.
Son désespoir se mua en rage. Elle s’imagina prenant sa
revanche, fouettant ses ravisseurs à l’aide d’un chat à neuf queues. Hélas, ce
n’était là que rêves inutiles. Mieux valait garder les pieds sur terre et
réfléchir au moyen de s’enfuir.
Elle devait d’abord obtenir qu’on la délie. Après quoi, elle
s’échapperait. Dans l’idéal, il ne lui resterait plus qu’à s’assurer qu’elle
n’était pas suivie ni rattrapée.
Tâche impossible, à première vue.
12.
Gwenda se réveilla glacée. On était au milieu de l’été, mais
le temps était frais et elle n’avait sur elle qu’une robe légère. Le ciel
virait du noir au gris. Dans cette faible lueur de l’aube, elle scruta la
clairière : pas un mouvement alentour.
L’envie de faire pipi la tenaillait. Elle songea à se
soulager sur place, quitte à tremper sa robe et à se rendre la plus dégoûtante
possible ! Mais elle chassa aussitôt cette pensée. Agir ainsi équivaudrait
à reconnaître sa défaite, et il n’était pas question pour elle d’abandonner la
lutte.
Que faire, alors ?
Étendu près d’elle, Alwyn dormait à poings fermés. La vue du
long fourreau pendu à sa ceinture fit germer une idée dans l’esprit de Gwenda.
Aurait-elle la vaillance de la mettre à exécution ? Elle s’en persuada,
refusant de se laisser aller à sa peur.
Les liens autour de ses chevilles n’entravaient pas ses
jambes, elle put donc donner un coup de pied à Alwyn, puis, comme il ne
réagissait pas, recommencer. À la troisième tentative, il se redressa sur son
séant. « C’était toi ? marmonna-t-il d’une voix pâteuse.
— J’ai besoin de faire pipi.
— Pas dans la clairière, Tarn l’interdit. Pour pisser,
c’est vingt pas dans les bois. Cinquante pour déposer sa merde.
— Les hors-la-loi ont quand même des lois ? »
L’ironie lui passa au-dessus de la tête et il resta à
scruter Gwenda. Elle comprit qu’il n’était pas intelligent. C’était une bonne
chose, mais il était costaud et hargneux. Elle devrait agir avec prudence.
Elle dit : « Je ne peux aller nulle part, attachée
comme je suis. »
Tout en maugréant, il défit la corde autour de ses
chevilles. La première partie de son plan menée à bien, Gwenda se sentait à
présent encore plus effrayée.
Non sans mal, elle parvint à se mettre debout. Après ces
heures d’immobilité forcée, les muscles de ses jambes tiraient douloureusement.
Elle fit un pas, trébucha et retomba sur les fesses. « Ce n’est pas
facile, avec les mains attachées ! »
Il ignora sa plainte.
La deuxième partie du plan n’avait pas fonctionné.
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