Un Monde Sans Fin
chasse. Elle nettoya le sang de son
visage et de sa poitrine et éclaboussa d’eau froide ses parties intimes. Après
quoi, elle but longuement car une marche pénible l’attendait.
Quelque peu calmée, elle reprit le chemin, l’oreille aux
aguets. Dans combien de temps les bandits trouveraient-ils le corps
d’Alwyn ? Elle n’avait pas même tenté de le dissimuler. Quand ils se
rendraient compte qu’elle l’avait tué, ils se lanceraient à sa poursuite. Ils
s’étaient défaits d’une vache pour l’acheter à son père, et une vache valait
bien douze shillings, la moitié de ce que gagnait Pa en un an en tant que
journalier.
Elle atteignit enfin la route. Pour une femme, y marcher
était presque aussi dangereux que de s’aventurer dans les bois. La forêt était
infestée de bandes de hors-la-loi, comme celle de Tarn l’Insaisissable. Quantités
d’hommes y rôdaient en permanence, seuls ou en groupe – écuyers, paysans,
hommes d’armes. Profiter d’une pauvre femme sans défense ne serait pas pour
leur déplaire. Ce qui importait, pour l’heure, c’était de mettre la plus grande
distance possible entre Sim le colporteur et elle. Conserver une vive allure
était donc primordial.
Mais où aller ? Retourner à Wigleigh ? Impossible
car Sim viendrait l’y rechercher, et Dieu sait comment son père réagirait. Non,
elle devait se cacher chez une personne de confiance. Caris, voilà qui lui
viendrait en aide.
Elle prit donc la direction de Kingsbridge.
Le temps était clément, mais la route embourbée après de si
longs jours de pluie ne facilitait pas la marche. Parvenue au sommet d’une
colline, elle regarda en arrière. La vue s’étendait sur une demi-lieue environ.
Loin, très loin, elle repéra un point jaune progressant sur la route.
Sim le Colporteur !
Elle prit ses jambes à son cou.
*
L’affaire de Nell la folle devait être entendue dans le
transept nord de la cathédrale, samedi à midi. L’évêque Richard présidait la
cour constituée de prélats. Le prieur Anthony était assis à sa droite et
l’archidiacre Lloyd siégeait à sa gauche. Assistant de l’évêque, ce prêtre à la
mine sévère effectuait, disait-on, tout le travail de l’évêché.
Nombre d’artisans et d’ouvriers finissant ce jour-là le
travail à midi, les habitants de la ville étaient venus en foule, alléchés par
ce procès en hérésie. C’était un divertissement apprécié et il ne s’en était
pas tenu à Kingsbridge depuis des années. Dans l’enceinte du prieuré, la foire
s’achevait. Les commerçants démontaient leurs étals et remballaient les
invendus ; les acheteurs se préparaient à reprendre la route ou
organisaient le transport de leurs marchandises à bord des radeaux qui descendraient
le fleuve jusqu’au port maritime de Melcombe.
De sombres pensées agitaient Caris tandis qu’elle attendait
l’ouverture du procès. Que faisait Gwenda en ce moment ? À coup sûr, le
colporteur l’obligerait à coucher avec lui, mais des choses bien pires
pouvaient lui arriver. À quoi d’autre pouvait-il la forcer en tant
qu’esclave ? Gwenda tenterait nécessairement de s’échapper, Caris n’en
doutait pas un instant. Y parviendrait-elle ? En cas d’échec, quel serait
son châtiment ? Saurait-on jamais ce qui lui était arrivé ?
La semaine tout entière s’était déroulée de bien étrange
façon. Buonaventura Caroli n’était pas revenu sur sa décision : les
acheteurs florentins ne remettraient plus les pieds à la foire de Kingsbridge –
du moins, tant que le prieuré n’aurait pas amélioré les conditions de vente.
Edmond et les lainiers les plus importants avaient passé la moitié de la
semaine enfermés avec le comte Roland. Quant à Merthin, il continuait d’être
d’humeur aussi incompréhensible, taciturne et maussade. Et pour couronner le
tout, la pluie avait repris.
Tête nue et sans chaussures, vêtue uniquement d’un long
gilet attaché sur le devant qui laissait voir ses épaules décharnées, Nell fut
traînée à l’intérieur de l’église par John, le sergent de ville, et Murdo, le
frère lai. Elle ne se débattait presque plus entre les mains des deux hommes,
elle hurlait seulement des imprécations.
Quand enfin elle se tut, des citadins s’avancèrent l’un
après l’autre pour témoigner qu’ils l’avaient entendue invoquer le démon. En
quoi, ils disaient la stricte vérité. Nell, en effet, envoyait les gens au
diable
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