Un paradis perdu

encore de nom. Dès son élection, en 1801, il commença par annuler toutes les nominations faites au cours des derniers mois par son prédécesseur, John Adams, avant de remplacer bon nombre de fonctionnaires déjà en place. Pour se débarrasser des vingt-deux magistrats inamovibles, titulaires de postes judicaires créés par Adams, Jefferson réussit un coup de maître. Les magistrats ne pouvant être congédiés, il fit supprimer leur fonction par le Congrès. C'est ce que j'ai lu dans la biographie de Thomas Jefferson 3 empruntée à la bibliothèque de grand-père, précisa Pacal.
     

    Tout en surveillant les derniers aménagements du phare, Charles Desteyrac avait recruté le personnel chargé de faire, chaque nuit, fonctionner le feu, d'assurer le nettoyage quotidien de l'optique, de fabriquer l'acétylène, combustible gazeux produisant une flamme très éclairante qui, sur les conseils d'Albert Fouquet, avait été préféré à l'huile de colza et au pétrole.
     
    On obtenait l'acétylène, sur place, en faisant tomber goutte-à-goutte de l'eau douce sur du carbure de calcium placé au fond d'une petite cuve. La réaction chimique produisait instantanément le fluide inflammable, qu'une fine canalisation conduisait jusqu'aux brûleurs de la lampe. Un contrat avait été passé avec un fabricant américain de carbure, qui assurerait un approvisionnement régulier. Afin qu'on ne courût pas le risque d'une livraison retardée par l'état de la mer, qui aurait pour conséquences l'extinction du phare, Charles avait déjà constitué un stock de carbure.
     
    Peter Guest, quartier-maître mécanicien las de naviguer s'était, depuis longtemps, porté volontaire pour assurer le gardiennage et l'entretien du phare. Agréé par l'Imperial Lighthouse Service, ce vieux marin, qui venait d'épouser une métis – « pour tenir mon ménage », avouait-il –, avait la confiance de Lewis Colson. Chaque soir, au coucher du soleil, Peter Guest allumerait le feu et se tiendrait dans la lanterne jusqu'au lever du jour, pour veiller au bon fonctionnement de la lampe. Il devrait aussi remonter, toutes les trois heures, au moyen d'une manivelle, le poids de fonte pendu à un câble enroulé sur une poulie à cliquet. Ce système, semblable à celui qui assure le fonctionnement des anciennes horloges, commanderait la rotation de l'optique fixée sur une plateforme mobile.
     
    – Vous devrez user beaucoup de graisse pour le chariot à galets, afin que le mouvement de l'ensemble soit régulier, le faisceau lumineux devant parcourir trois cent soixante degrés en une minute, comme indiqué à l'Imperial Lighthouse Service. Ce rythme, réglé par l'étalonnage du poids, dira aux marins que la vive lumière aperçue à une quinzaine de milles est celle du phare du Cabo del Diablo, sur l'îlot de Buena Vista, et non celle d'un autre phare. Car notre feu rotatif va figurer dans les instructions nautiques internationales, expliqua Charles.
     
    Lord Simon avait exigé que les assistants du gardien fussent recrutés parmi les Arawak, à qui l'on apprendrait la fabrication de l'acétylène, le fonctionnement et la maintenance du feu. « Il est bon que nos Indiens participent aujourd'hui à la protection des navires, comme autrefois leurs ancêtres participaient à leur pillage », avait dit Cornfield. Charles recruta donc deux petits-fils de Sima, débrouillards et travailleurs, anciens élèves du pasteur Russell, qui seraient logés dans une dépendance du bungalow construit au pied du phare, où le gardien chef et son épouse disposeraient d'un logement confortable.
     
    Les premiers essais obligèrent à de nombreux réglages et permirent de prévenir un risque insoupçonné d'incendie. Pacal fut le premier à constater qu'en plein jour, alors que le feu du phare était éteint, les rayons du soleil passant à travers les énormes lentilles concentriques de Fresnel pouvaient, à distance, enflammer les buissons ! Charles fit aussitôt confectionner, dans de la toile à voile, une housse dont l'optique fut coiffée pendant le jour.
     
    Dès les premières tempêtes d'automne, Desteyrac et son fils montèrent rejoindre le gardien dans la lanterne. Les sifflements rageurs du vent, prêt à s'introduire par le moindre interstice, et les rafales de pluie qui giflaient les glaces de la coupole impressionnèrent les deux hommes, même si la tour opposait aux éléments une massivité rassurante. Peter Guest qui, au cours