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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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insulaires menaçaient de confier leur récolte à la nouvelle société exportatrice de lord Pacal et d'anéantir le Sponge Market de Nassau. Pacal, qui voyait sa popularité grandir chez tous les pêcheurs de l'archipel, s'abstint cependant d'accéder à leur demande dès que son but – faire payer un plus juste prix les éponges bahamiennes – fut atteint. Il ne voulait pas être accusé par les autorités d'un préjudice porté à l'économie de la colonie, ni s'arroger le monopole de l'exportation des éponges. On proclama sur le marché de Nassau et dans les îles que le fils de l'ingénieur français et d'Ounca Lou était bien le digne héritier du lord des Bahamas, de prestigieuse mémoire.
     
    Les remous provoqués dans le petit monde du négoce autour du marché des éponges étaient retombés quand, au printemps 1887, la bonne société et le milieu judiciaire furent agités par un événement inhabituel et, pour les conservateurs de race blanche, scandaleux.
     
    Le juge itinérant, Louis Diston Powles, payé cinq cents livres par an – le double d'un président de tribunal –, avait pris ses fonctions le 2 novembre 1886. Ceux qui l'avaient rencontré reconnaissaient à ce catholique, de carrure athlétique, une forte personnalité.
     
    Powles, né à Londres en 1842, avait étudié à Harrow et Oxford avant d'être admis, en 1866, au barreau, où il s'était tout de suite imposé comme juriste compétent. Membre du fameux Savage Club, que fréquentait le Lord Chief Justice of England , ministre de la Justice de Sa Très Gracieuse Majesté la reine Victoria, il avait publié plusieurs ouvrages de droit, notamment sur le divorce, dont il s'était fait une spécialité. Entre deux affaires, il écrivait des pièces de théâtre. On lui devait une comédie the Opera Cloak , produite en collaboration avec sir Augustus Harris, directeur du théâtre de Drury Lane.
     
    Or la première affaire qu'eut à traiter Louis Diston Powles, comme juge d'instance, en février 1887, lui permit d'apprécier la façon dont, à Nassau, on rendait justice aux Noirs, et lui valut une solide détestation des conservateurs.
     
    Un certain James Lightbourn était accusé par sa servante noire, Susan Hopkins, de mauvais traitements et voies de faits. On murmurait que la jeune fille avait été battue parce qu'elle refusait à son maître certaines privautés. Plusieurs Noirs de bonne réputation témoignaient de la brutalité de l'individu.
     
    La sentence de Powles fit l'effet d'une bombe. Ayant condamné Lightbourn, membre de la Wesleyan Methodist Church, à un mois de prison, il refusa au condamné la commutation de sa peine en amende de quelques livres sterling et le fit emprisonner.
     
    Au cours du procès, Lightbourn avait obtenu les témoignages de Blancs méthodistes visant, sinon à l'innocenter, du moins à réduire les violences dénoncées par Susan Hopkins à la banale correction qu'un maître était en droit, d'après eux, d'infliger à une servante désobéissante.
     
    Plus tard, Powles aggrava son cas en disant qu'il n'avait accordé aucun crédit aux témoignages sous serment des méthodistes. Le fait qu'un magistrat catholique accusât de parjure des protestants qui avaient prêté serment sur la Bible, provoqua un tel tollé que le gouverneur, cependant bien disposé à l'égard de Powles, pria le juge de ne pas commenter le cas Lightbourn.
     
    Mais les amis du condamné, eux, le commentèrent avec véhémence. De nombreux Blancs de Nassau déclarèrent que la condamnation infligée à Lightbourn les atteignait tous dans leur honneur et qu'il n'y avait pas d'exemple qu'un Blanc eût été emprisonné pour avoir giflé une Noire. On cita le cas d'un membre du gouvernement qui avait battu sa servante, Rosa Poictier, à qui il ne payait même pas son salaire. Il avait été condamné à payer les gages en retard, mais la plainte pour coups de la domestique n'avait pas été retenue. D'autres Blancs, qui avaient rossé plus ou moins violemment leur servante, geste assez courant, n'avaient été condamnés qu'à une amende de trois livres sterling d'amende.
     
    « On n'a jamais vu un Blanc mis en prison pour de telles peccadilles », écrivait-on partout, y compris dans le Nassau Times , organe des méthodistes. Une dame vint même expliquer à Powles : « Les femmes de couleur sont seulement des femmes dans un sens limité. » Une autre ajouta : « Elles s'apparentent plutôt aux animaux. »

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