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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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épouse possible. L'éducation de la jeune fille lui permettrait d'être à l'aise en toute circonstance et sa fortune personnelle mettrait son mari à l'abri d'éventuelles extravagances dépensières.
     
    Certes, Susan n'exprimait pas d'idées originales, mais sa conversation, comme ses manières, relevait d'une circonspection puritaine, tempérée de bon sens. Aucune médisance ne sortait de sa bouche, non plus que ces potins mondains, délectation des bourgeoises oisives.
     
    D'une beauté saine, d'allure aisée, elle pouvait être enjouée avec mesure, expansive sans excès, capable de réflexion. Elle touchait agréablement le piano, conduisait un boghei mais ne montait pas à cheval, pratiquait le canotage mais ne jouait pas au tennis.
     
    Épiscopalienne pratiquante, Susan n'eût pas cueilli de fleurs le dimanche mais n'appelait pas un taureau « vache mâle », comme ceux et celles qui tenaient ce bovin pour symbole d'une ardeur sexuelle peccamineuse. Ses goûts littéraires, influencés par sa foi et une correction morale de tous les instants, la conduisaient à ne lire, elle l'avait confié à Pacal, que les romans sélectionnés par le pasteur de sa paroisse, lequel n'hésitait pas à arracher les pages jugées trop osées d'un livre, avant de le mettre en circulation.
     
    Pour le Bahamien, qu'une telle censure amusait, cette étroitesse d'esprit illustrait la contention calviniste des instincts naturels, imposée dès l'enfance aux rejetons de la société protestante. Calvin reconnaissait à l'homme « un droit d'usage des biens terriens même s'ils semblent plus servir à plaisir qu'à nécessité », mais il souhaitait que l'adultère fût puni de mort et condamnait, même dans le mariage, l'« intempérance lascive ». Dans une société puritaine, cette doctrine aboutissait à la recherche du profit et à la dissimulation de tout ce qui touchait au sexe, à ses manifestations comme à ses exigences. Susan devait être une vierge garantie !
     
    Avant que le Phoenix II ne touchât le port occidental de Soledad, lord Pacal s'était persuadé que la Bostonienne ferait une épouse sérieuse, sachant conduire un train de maison et recevoir dans les règles. Sa bonne santé et sa robustesse autorisaient à penser qu'elle pourrait mettre au monde de beaux enfants. Restait à savoir si cette demoiselle fortunée accepterait de lier son sort à celui d'un homme qui n'avait rien d'un WASP et se résoudrait à vivre sur une île, loin des siens et de la Nouvelle-Angleterre.
     
    Dès le débarquement, les Américaines exprimèrent autant d'étonnement que d'admiration. Elles avaient imaginé Soledad presque aussi sauvage que les Bimini Islands et découvraient des installations portuaires ordonnées, autour de bâtiments bien entretenus et, par-delà, sur de vertes collines, une nature maîtrisée comme la campagne anglaise. Des indigènes, propres et souriants, attendaient sur le quai, près de calèches attelées de superbes chevaux, conduits par des cochers en livrée.
     
    Le trajet à travers le Cornfieldshire, sur une route asphaltée entre palmiers et buissons d'azalées, confirma leur sentiment de pénétrer un décor de contes de fée. Quand la calèche franchit la grille du parc, entre les piliers portant les lions sculptés, dont une patte griffue protégeait le blason des Cornfield, Fanny ne put retenir une exclamation jubilatoire.
     
    – Mais nous entrons chez un prince ! s'écria-t-elle.
     
    Les massifs fleuris, les alignements de palmiers argentés, les allées sablées, bordées d'hibiscus et de gardénias, puis la vue de Cornfield Manor arrachèrent aux trois Bostoniennes, habituées à de plus austères décors, des commentaires émerveillés.
     
    – On ne voit ça que dans les livres s'images, s'écria Fanny.
     
    Pibia, le vieux butler, hiératique dans son habit bleu à boutons dorés, descendait le grand escalier pour venir à la rencontre de lord Pacal et de ses invitées.
     
    Le soir même, le maître de l'île donna un dîner de vingt couverts, au cours duquel les Bostoniennes firent la connaissance de Charles Desteyrac et de lady Ottilia, ainsi que des familiers du manoir.
     
    Au cours des jours suivants, avec lady Ottilia, Charles Desteyrac, Myra Maitland ou plus rarement Pacal, les Américaines parcoururent l'île en tous sens. Au village des artisans, elles achetèrent des chapeaux de paille et des dents de requins montées en pendentifs ; chez les Arawak,

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