Un paradis perdu
un juge, qui confirme leur éviction des terres qu'ils ont cultivées. Croyez-moi, my lord , si je n'étais pas un vieil homme, je rejoindrais la Ligue agraire de Michael Davitt, un fenian, qui, plus que Charles Stuart Parnell et sa Home Rule , est décidé à chasser les landlords de nos terres, développa O'Graney.
– J'ai appris à Londres que Parnell est poursuivi par la justice de Sa Très Gracieuse Majesté la reine Victoria pour collusion avec les rebelles, dit Pacal.
– Parnell n'est pour rien dans la rébellion des paysans. Tout ça, c'est fabriqué. Mais, maintenant qu'on sait qu'il a pour maîtresse, depuis 1880, l'épouse de son ami William O'Shea, croyez-moi, ça fait mauvais effet 3 , précisa Tom, soudain déridé.
L'Océan ayant décidé de mettre à l'épreuve le vapeur restauré, la traversée fut agitée. Si le Phoenix II supporta vaillamment grains et forte houle, Susan fut prise de fréquentes nausées, qui, souvent, la détournèrent de la salle à manger. Comme Pacal s'inquiétait de ces malaises, attribués à l'état de la mer, Myra, la seule autre femme du bord, eut un sourire entendu.
– Ce n'est pas le mal de mer, my lord . Je crois bien, d'après ce que m'a confié votre épouse, que vous serez père dans quelques mois, dit-elle.
– Pourquoi, diable, Susan ne m'en a-t-elle rien dit ? s'étonna Pacal.
– Elle veut être certaine de son état avant de vous annoncer la bonne nouvelle. J'espère qu'elle pardonnera cette indiscrétion. Je voulais seulement apaiser vos inquiétudes.
– Vous êtes pardonnée, Myra. Je vais, de ce pas, dire à ma courageuse épouse tout le plaisir qu'elle me cause, répondit le lord.
Cette révélation confirmée par l'intéressée, Pacal sut qu'il avait toute chance d'être père au cours de l'été 90.
– En pleine période des ouragans, hélas, fit-il observer.
– Cela n'aura pas d'importance, mon ami, puisque suivant mon état, deux ou trois mois avant l'accouchement, je vous demanderai la permission de m'installer à Boston, dans ma famille, dit-elle.
Elle rappelait ainsi, sans insister, que leur contrat de mariage avait prévu qu'elle mettrait ses enfants au monde à Boston, d'abord par confort et sécurité pour elle-même, ensuite pour qu'ils soient, selon son vœu, de nationalité américaine.
Susan fut bien aise de retrouver la terre ferme à Boston, où elle était attendue, avec une curiosité émue, par les siens. Dès l'arrivée des époux à Beacon Street, tante Maguy, Junon autoritaire, entraîna sa petite-nièce dans son boudoir, escomptant des confidences qu'elle estimait être la seule à pouvoir entendre. La vieille fille avait toujours imaginé que l'acte que recouvrait le terme « devoir conjugal » était une pénible et dégoûtante épreuve. Elle fronça le sourcil, étonnée, prête à imaginer Susan glissant vers la luxure, quand la jeune mariée lui confia combien elle appréciait que Dieu, dans son immense sagesse, et l'Église épiscopalienne, dans son humaine compréhension, aient fait, par un simple sacrement, du pêché d'Adam et Ève un plaisir autorisé.
– D'ailleurs, notre union est à nouveau bénie, car je serai mère en août prochain, compléta Susan.
– Ma pauvre petite ! Déjà ! Ton mari ne pouvait pas attendre ! s'exclama tante Maguy, comme horrifiée.
À l'heure du dîner, les arrivants s'étonnèrent de ne pas avoir encore vu Fanny. Tante Maguy posa brusquement son couvert, attendit que le maître d'hôtel eût quitté la pièce.
– Depuis son retour d'Europe, Fanny est toujours en mouvement. On dirait qu'elle ne tient pas en place. Ainsi, il y a une dizaine de jours, quand nous avons reçu le télégramme annonçant votre arrivée, elle a décidé de partir, sur-le-champ, pour Chicago. Pourquoi Chicago ? Comme s'il ne lui plaisait pas de vous revoir. Allez comprendre !
Pacal comprit que miss Fanny Buchanan ne souhaitait pas rencontrer Andrew Cunnings, qui, dès l'accostage du Phoenix II , s'était attendu à la revoir.
L'idylle entre l'officier et la Bostonienne semblait bel et bien terminée.
En Nouvelle-Angleterre, comme ailleurs, régnait à nouveau un climat hostile aux Indiens, depuis qu'un chef des Piaiute, nommé Wowoka, fort respecté, annonçait aux tribus cantonnées, depuis 1880, dans des réserves, que le Grand Esprit allait revenir, que les Indiens tués par les Blancs
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