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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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cabriolet et un cheval. Nous sommes nombreux à l'admirer et à suivre ses conférences sur Abraham Lincoln, mais certains le considèrent comme un illuminé et trouvent ses vers libres obscènes. Un critique a même dit qu'il était « habité par l'âme d'un âne sentimental qui serait mort d'un chagrin d'amour ». Heureusement que le philosophe Emerson nous a encouragés, jusqu'à sa mort, en 82, à le lire, dit Thomas.
     
    – Si ton poète voit juste et si l'Amérique ressemble bientôt à ce qu'il annonce, tu ne me verras pas souvent à New York, plaisanta Pacal.
     
    – Toi, tu vis sur ton île, comme au XVII e  siècle. Les Cornfield y règnent depuis toujours en souverains paternalistes, avec une indifférence aristocratique au changement, rétorqua Thomas.
     
    – Peut-être, mais à Soledad on trouve tout ce qui fait défaut ici. Considération pour l'être humain, quel que soit son sexe, la couleur de sa peau ou sa condition sociale, courtoisie, hospitalité, garantie du toit et du pain, rythme de vie en accord avec la nature. La courtoisie facilite les rapports, l'hospitalité est spontanée et ce paternalisme, que tu moques, débarrasse la charité de ce qu'elle a d'humiliant pour celui qui en bénéficie, quand elle est parcimonieusement réglementée par vos bienfaiteurs puritains. Leurs œuvres donnent bonne conscience aux millionnaires philanthropes, tel le rusé Rockefeller qui, après avoir désespéré et ruiné ses concurrents, inflige à leur descendance, avec une jouissance perverse, de nouvelles humiliations en ouvrant dispensaires, écoles et musées, pour soigner les corps, les esprits et les âmes qu'il a rendus malades. La civilisation nouvelle, que vous êtes en train d'inventer, Thomas, fera de l'homme un citoyen-marionnette, dont politiciens, affairistes et pasteurs tireront les ficelles. Très peu pour un Britannique ou un Français !
     
    – En une génération, les États-Unis deviendront un modèle de civilisation évoluée et la première puissance au monde, comme le prévoit Whitman, asséna Thomas avec conviction.
     
    –  Sweet land of liberty , répéta lord Pacal, sans rire cette fois.
     

    Lors de la traversée vers Soledad, Pacal devina que Susan s'efforçait de cacher une discrète mélancolie. Dès qu'eurent disparu les côtes américaines, elle ressentit le mal du pays. L'Océan étant calme, elle fit de longues stations sur la plage arrière, à l'abri d'un soleil de plus en plus brûlant, alors que le vapeur naviguait au sud, vers les Bahamas. Le roman de Henry James, Daisy Miller , qu'elle avait emporté dans ses bagages, gisait le plus souvent sur le pont et, seule, la brise narquoise en tournait les pages. Dans ces moments-là, Myra Maitland respectait le silence de la jeune femme, attribuant cette humeur sombre au fait qu'aucune des domestiques, noire ou mulâtre, qui servaient à Beacon Hill, n'avait voulu suivre sa maîtresse. Même pas la gentille Angela, pleurnicharde mais insoumise.
     
    Susan supportait mal les rares absences de son mari, seul capable de lui faire oublier le sentiment de solitude qui l'angoissait dès qu'il s'éloignait. Pacal était tout ce qui la rattachait à ce qu'elle venait de quitter, celui avec qui elle puisse s'entretenir de Boston, de ses parents, de ses amis, dont chaque tour d'hélice l'éloignait davantage.
     
    L'arrivée à Soledad, au premier jour du printemps, atténua sa morosité, car elle allait devoir tenir à Cornfield Manor le rôle, souvent imaginé, d'une vraie lady.
     
    L'accueil enflammé de la population de l'île, accourue au port occidental, lui rendit sourire et confiance en la vie. Elle reçut, des mains d'une petite Arawak, un collier de coquillages et Ottilia lui offrit les premières roses de son jardin, avant de l'entraîner à Malcolm House, tandis que Timbo, nouveau majordome, organisait le transport des bagages vers Cornfield Manor.
     
    Dès le lendemain, lord Pacal reprit avec satisfaction ses habitudes, entre son cabinet de travail, toujours fleuri par Violet, secrétaire attentive, ses inspections à travers l'île, ses entretiens avec les fermiers, les artisans, le cacique des Arawak et les visites des chantiers en cours avec son père.
     
    Les deux hommes se plaisaient ensemble. L'amour filial et l'amour paternel avaient fondé leur féconde complicité, après la mort précoce d'Ounca Lou. Ils conservaient le même goût pour les chevauchées matinales, la baignade et la

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