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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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mille sermons et écrivit cinquante volumes. Je compte ouvrir ici une école, pour les enfants des pêcheurs d'éponges, dont on m'a dit l'éducation religieuse fort négligée. À Eleuthera, notre Wesley Methodist Church prospère depuis 1850, dit le missionnaire, entre deux cahots.
     
    – On fait pas l'école ici, sans la permission de lord Simon, m'sieur. Parce que c'est lui qui construit les classes et paie les maîtres et les maîtresses. M'sieur le Pasteu' Russell est comme qui dirait le chef de tous les maîtres de l'île. Margaret Russell tient l'école des filles du Cornfieldshire. Vous verrez bien ça avec lord Simon, m'sieur.
     
    Sharko, ainsi nommé parce qu'un requin lui avait autrefois mangé une fesse, avait souvent entendu des membres du Loyalists Club parler de missionnaires baptistes, méthodistes ou adventistes, envoyés dans l'archipel pour convertir les indigènes. Les baptistes ne baptisaient que les adultes et les trempaient dans l'eau jusqu'aux yeux ; les méthodistes, les plus zélés, disait-on, assuraient qu'un chrétien pouvait accéder à la sainteté de son vivant en faisant la sieste ; les adventistes attendaient la seconde venue du Christ. Quant aux ritualistes, entraînés depuis 1850 en Grande-Bretagne, par un professeur d'hébreu d'Oxford, Edward Bouverie, dit Pusey, ils avaient réussi à restaurer, dans l'Église anglicane, certaines pratiques de l'Église catholique romaine. Toutes ces obédiences s'opposaient aux évangélistes, qui acceptaient d'entendre prêcher le premier venu prétendument élu pour traduire la parole de Dieu.
     
    Le fait qu'on eût, en Grande-Bretagne, reconnu des droits aux Églises dissidentes, lesquelles n'étaient plus contraintes, depuis 1868, de payer une taxe ecclésiastique à l'Église établie, avait stimulé, dans les colonies, le prosélytisme des sectes.
     
    Sharko, mulâtre instruit, avait servi comme steward dans la marine de Sa Très Gracieuse Majesté, puis comme aide-comptable à la capitainerie du port, avant de devenir gérant du Loyalists Club. Toujours bien informé, il n'ignorait rien des conflits d'intérêts qui opposaient, depuis des années, les Églises des Bahamas.
     
    Dès 1840, les ministres anglicans avaient compris que les missionnaires des Églises dissidentes, venus des États-Unis dans les îles, menaçaient la suprématie de l'Église d'État en réclamant les mêmes prérogatives. L'Église anglicane – dont les évêques, nommés par la Couronne, siégeaient à la Chambre des lords – détenait alors, dans les colonies britanniques, le monopole des écoles et de l'administration des sacrements, ainsi que la gestion des cimetières publics, l'organisation des mariages et des enterrements.
     
    Ces activités passaient pour lucratives aux Bahamas où, par un reste de paganisme, les familles les plus modestes n'hésitaient pas à s'endetter pour faire d'une noce, comme d'une inhumation, une célébration festive qui pouvait durer plusieurs jours. Pour marier une fille ou un fils, pour accompagner à sa dernière demeure un père ou une mère, parents et amis achetaient des vêtements neufs, louaient des musiciens, invitaient des notables locaux, toujours prêts à parader, faisaient préparer de véritables ripailles, au cours desquelles on palabrait, buvait abondamment, échangeait des plaisanteries. Si l'on dansait au cours des mariages, on ne se privait pas, lors des funérailles, de raconter des histoires qui mettaient en scène le défunt, de boire à sa santé éternelle, de manger, de chanter et de pleurer, avec ensemble et frénésie, afin d'user ostensiblement des mouchoirs que la famille du mort avait fait confectionner puis distribuer et qui, souvent, portaient, finement brodé, le nom du disparu, assorti d'une sentence du genre : « On ne peut oublier un tel homme » ou : « Je pleure l'ami parfait. »
     
    Après douze années de vaines réclamations, pour obtenir des autorités bahamiennes ce qu'on nommait le désétablissement de l'Église établie, les marguilliers, administrateurs des Églises baptiste et méthodiste, avaient reçu, en 1862, le soutien d'un membre de la General Assembly , R. H. Sawyer. L'élu avait proposé à ses collègues la suppression du monopole de l'Église anglicane et une égalité de traitement de toutes les Églises représentées dans les îles. Avec quatre voix de majorité, ce projet révolutionnaire avait été adopté, mais le Conseil exécutif avait

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