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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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passionné de charpente métallique, allait faire des études qui lui permettraient, un jour, de prendre la succession de son père. Ce dernier était un disciple de l'architecte George W. Snow qui, en 1833, à Chicago, avait, le premier, osé élever des murs-rideaux sur un bâti de métal, ossature permettant de construire de hauts immeubles. Quand Thomas avait appris que le père de Pacal était ingénieur et savait construire des ponts métalliques, la sympathie entre les deux adolescents avait été spontanée.
     
    La plupart des étudiants, fils de familles aisées, logeaient en ville dans les dormitories huppés, qui abritaient des chambres vastes et confortablement meublées, avec cabinet de bains. Les locataires de ces immeubles neufs disposaient d'une salle de gymnastique, d'une bibliothèque, d'un fumoir, de plusieurs salons et d'un excellent restaurant. Habiter une telle résidence coûtait au moins deux mille dollars par an, mais le père de Thomas assurait largement l'entretien de son fils. Autorisé par Bob Lowell à rendre visite à son ami Artcliff pour dîner, Pacal se présenta un jour, en fin d'après-midi, à la résidence où logeait le jeune homme.
     
    Le portier, un Noir en habit, l'accueillit fraîchement et les étudiants qu'il croisa dans le hall, des juniors ou des seniors 1 , ainsi qu'on nommait les élèves de troisième et quatrième années, ne lui accordèrent que des regards étonnés, parfois arrogants. Le fils de Charles et d'Ounca Lou comprit aussitôt que son physique, teint mat, cheveux noirs lisses, plats, lustrés, et ses yeux vert pâle, fendus en amande, le différenciaient sensiblement des Yankees, le plus souvent blonds ou roux, mais tous de carnation claire. Il sut plus tard que seule sa stature athlétique et l'impassibilité d'un regard assuré avaient découragé les locataires de ce dormitory bourgeois de lancer des quolibets pour faire allusion à ce qui, chez Pacal, rappelait ses racines indiennes.
     
    En attendant que le concierge daignât faire prévenir Artcliff qu'un visiteur l'attendait à l'accueil, Pacal eut le temps de constater que tous les domestiques de la résidence étaient des Noirs, plutôt obséquieux envers des jeunes gens dépourvus de la moindre considération à leur égard. Le professeur logé au dormitory , pour exercer un semblant de surveillance et interdire l'accès de la résidence à des femmes sans chaperon, imaginant que Pacal venait postuler pour un logement, s'approcha.
     
    – De quel État venez-vous ? demanda-t-il.
     
    – Je suis étranger, étudiant de première année au MIT et je viens des îles Bahamas.
     
    Le professeur eut une moue de dédain, poussa un soupir, tira sur ses manchettes.
     
    – Un freshman , venu d'une île anglaise, que personne ici ne serait capable de situer sur une carte marine, ne peut prétendre, mon garçon, même s'il en a les moyens, à loger sous le même toit que des fils de sénateurs, de propriétaires de lignes de chemin de fer, de magnats du pétrole ou de grands banquiers, déclara l'homme avec morgue.
     
    – Rassurez-vous, monsieur, j'habite chez mon professeur de mécanique, Robert Lowell. Je viens seulement rendre visite à un ami de New York.
     
    – Ah ! Dans ce cas, ne vous attardez pas ici, mon garçon.
     
    Piqué au vif, Pacal ne put se retenir.
     
    – Permettez-moi de vous dire que mon grand-père, lord Simon Leonard Cornfield, n'aurait certainement pas accepté que je puisse loger sous le même toit que les gens dont vous venez de parler. Nous appartenons à un autre monde, répliqua Pacal avec un sourire moqueur.
     
    La discussion, bien que brève et relativement discrète, attira des étudiants.
     
    – Que se passe-t-il monsieur, demanda un gros garçon aux joues molles, déjà bedonnant.
     
    – Rien. Ce n'est qu'un visiteur un peu insolent. Mais ce n'est pas un Américain, dit l'homme.
     
    – Cela se voit au premier coup d'œil, pouffa un autre étudiant, qui portait un soupçon de barbe.
     
    – Ne serait-ce pas un sambo 2 mal blanchi, fit un troisième, ce qui déclencha l'hilarité du groupe.
     
    – Je ne me souviens pas de vous avoir adressé la parole, monsieur, dit Pacal.
     
    – Nous pensons, à Harvard, que depuis le jour de novembre 1864 où mon parent, le colonel Chivington, élimina les Cheyenne du Colorado 3 , les enfants d'Indiens qu'il avait épargnés devraient rester cantonnés dans leur réserve. N'est-ce pas, les gars, dit le

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