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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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étaient toujours servis avant elle, sans attendre leur tour, et les commerçants ne lui adressaient la parole que pour réclamer leur dû. Elle n'osait pas dire à son mari que des hommes l'obligeaient parfois à descendre du trottoir, au lieu de s'effacer comme ils l'eussent fait devant une femme blanche.
     
    – Ma chère, ne vous mêlez pas de ça. On vous remarque déjà assez comme ça ! dit Bob en heurtant nerveusement la table de ses mains de bois.
     
    Pacal, décontenancé, sourit à Viola qui, les yeux pleins de larmes, se leva de table et quitta la pièce.
     
    – Voilà une conséquence stupide de votre altercation avec les étudiants. Viola est de plus en plus susceptible. On la remarque, bien sûr. Belle comme elle est. Belle femme et mère de famille… mais Indienne. Ce qui ne peut se dissimuler, n'est-ce pas ? Oui, partout on la remarque, dit Bob, soudain amer.
     
    – Vous-même l'aviez remarquée et vous l'avez épousée, dit Pacal qui, voulant être aimable ne fut qu'imprudent.
     
    – Ce n'est peut-être pas ce que j'ai fait de mieux, bougonna Lowell en quittant sa chaise.
     
    Pacal, fort gêné, se tut, ne trouvant rien à dire.
     
    – Allez réviser votre cours de mécanique des fluides. Il y aura interrogation demain, lança le professeur, mettant fin à l'entretien.
     
    Dès ce jour, Pacal multiplia les attentions pour celle qui l'avait bercé. Bien qu'elle fût de douze ans son aînée, il se sentait, peut-être par la mystérieuse connivence du sang des Arawak, le protecteur de cette femme, devenue mélancolique et le plus souvent silencieuse. Il souffrait de voir son professeur, par ailleurs si estimable, traiter son épouse comme une gouvernante.
     

    Quand lord Simon, Charles et Ottilia rendirent visite au sophomore , dans le temps de Pâques, en 1875, Pacal se garda de rapporter ce qu'il vivait dans le foyer des Lowell. Ces derniers se plurent en compagnie des visiteurs et les rencontres furent fréquentes. Un après-midi, Robert Lowell tint à conduire lord Simon et les siens chez la veuve de Louis Agassiz. Avant d'atteindre le domicile de cette femme, le professeur crut bon de prévenir que la seconde épouse du savant suisse était américaine, née Elizabeth Cary, d'une ancienne famille de Boston.
     
    – Qu'est devenue la première ? risqua lord Simon, qui aimait connaître les histoires de famille.
     
    – On dit qu'elle refusa de suivre son mari aux États-Unis, intervint Pacal.
     
    – C'est ce qu'on dit à l'université, mais la vérité est autre. Le génie d'Agassiz fut incompris de sa première épouse, dit Lowell.
     
    – Mais encore ? insista lord Simon.
     
    – Une dame de Boston, fille d'un vigneron du canton de Vaud, m'a raconté qu'en Suisse, Louis Agassiz passait ses jours et ses nuits dans son laboratoire, pour suivre l'éclosion des œufs de saumon. « Tous les soirs, sa femme venait frapper à la porte, mais il la renvoyait en disant qu'il ne pouvait pas quitter ses poissons et qu'il la recevrait après le huitième jour. Enfin, quand les huit jours furent écoulés, Mme Agassiz vint de nouveau frapper à la porte de son mari, mais celui-ci dormait si profondément qu'il ne l'entendit point. Le lendemain, elle revint et le trouva dormant, le troisième jour, elle le trouva encore dormant. Elle en fut exaspérée et se sauva, ne voulant plus d'un mari qui observait des œufs de poissons pendant huit jours et dormait ensuite pendant trois jours 4 . » Voilà ce qu'on m'a rapporté, dit Robert Lowell.
     
    La veuve du savant suisse, une belle femme aux cheveux blancs, tenait une pension pour jeunes filles et entretenait avec assiduité les relations de son défunt mari. Elle accueillait tous les admirateurs d'Agassiz avec une grande courtoisie, et acceptait de parler de lui et de son œuvre capitale, hélas inachevée. Cette monumentale Contribution des États-Unis à l'histoire naturelle aurait dû compter dix volumes et, seuls, les quatre premiers avaient été écrits et publiés.
     
    En quittant la maison que Harvard University avait autrefois offerte au professeur, Lowell crut bon d'expliquer comment les esclavagistes du Sud avaient trouvé, bien avant la guerre de Sécession, dans une déclaration d'Agassiz, de quoi conforter leur attitude à l'égard des Noirs.
     
    – Pressé dans les années cinquante de donner son avis sur le niveau mental des différentes races, Agassiz, alors le plus célèbre des savants américains, dit

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