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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ménage.
     
    Le père Taval, comme tous les insulaires, traitait Pacal en homme et futur maître de Soledad ; Pacal, lui, montrait déférence et sympathie. D'où la liberté de ton pendant leurs entretiens.
     
    – Les protestants, les anglicans notamment, reprochent à votre Église catholique romaine le célibat forcé de ses ministres, donc l'interdiction de fonder une famille. En ne tenant pas compte de cette règle, vous vous êtes rapproché de l'Église d'Angleterre, constata finement Pacal, lors d'une visite.
     
    – Mon cher enfant, j'ai toujours tenté de suivre le conseil que donnait autrefois René de Chateaubriand dans un article : « Il faut se contenter d'être simple de cœur, ami des malheureux, adorateur de celui qui voit et juge les hommes, et laisser les disputes d'opinions à ceux qui s'occupent des songes 5 . »
     
    – C'est la sagesse, consentit Pacal.
     
    En toutes circonstances, le petit-fils du lord, d'un naturel protecteur, traitait Anacona en jeune sœur, et lady Lamia se montrait enchantée de ces rapports, encore qu'elle redoutât secrètement de voir sa pupille tomber amoureuse de Pacal.
     
    De Cambridge, l'étudiant avait rapporté une véritable bibliothèque et incitait Anacona à lire. Il lui avait ainsi fait découvrir les Aventures de Tom Sawyer , d'un certain Mark Twain, de qui il aimait par-dessus tout la nouvelle qui avait lancé l'écrivain : la Célèbre Grenouille sauteuse de Calaveras , publiée par la revue Atlantic Monthly . Pacal guettait, chaque mois, l'arrivée à Soledad de cette revue, fondée à Boston par un des professeurs les plus estimés de Harvard University, James Russell Lowell, sans lien de parenté avec Robert Lowell. Il mit entre les mains d'Anacona les œuvres d'Hawthorne et de Longfellow, estimant que celles, plus philosophiques, d'Emerson et de Thoreau, ne convenaient pas encore à une adolescente instruite par des religieuses catholiques.
     
    La jeune fille avait appris à monter à cheval avec Ottilia et on la voyait souvent passer le pont de Buena Vista, pour galoper jusqu'à Malcolm House, où elle retrouvait Pacal, ce qui faisait dire aux commères du Cornfieldshire, à Dorothy Weston Clarke la première, que le fils de Charles et d'Ounca Lou avait rapporté de son université américaine le goût du flirt, fort préjudiciable à la vertu des demoiselles.
     
    – Cela peut aussi conduire au mariage, risqua un jour l'épouse du pasteur Russell.
     
    – Ma pauvre amie, une telle union ne pourrait plaire à lord Simon. Il a certainement, pour son héritier, l'ambition d'une alliance plus huppée. Vous verrez qu'au cours de leur voyage en Europe il s'arrangera pour lui présenter quelque fille de duc ou de comte, peut-être laide et niaise, mais titrée et riche, déclara Dorothy.
     
    Ignorant ces ragots infondés, Pacal et Anacona ne pensaient qu'à jouer au tennis ou au croquet, tirer à l'arc avec les Arawak, faire de la musique avec Ottilia, naviguer sur le petit voilier bahamien, cadeau de lord Simon à son petit-fils. Sorti de l'unique chantier naval des Bahamas, créé en 1820 à Man O'War Cay, par les Albury, ce bateau, en bois de madère et d'acajou, restait la plus authentique et la plus sûre embarcation pour croiser dans l'archipel 6 .
     
    La fin des vacances de la jeune Cubaine, prémices à une longue séparation avec son ami, arriva alors que s'annonçaient les premiers orages tropicaux. Lamia, Ottilia et Pacal accompagnèrent l'élève des bénédictines au bateau-poste pour Nassau. Anacona fit promettre à son compagnon de jeu de lui écrire, car ils ne se reverraient pas avant 1879.
     
    – Je voudrais une lettre de tous les pays que vous visiterez, en Europe, l'année prochaine… à cause des timbres bien sûr, dont je veux faire collection, comme une de mes camarades de pension, ajouta-t-elle rougissante.
     
    Pacal promit et, quand le bateau appareilla, il répondit au geste d'adieu de l'adolescente et se tourna vers Fish Lady et Otti.
     
    – Pour moi aussi, les vacances sont terminées. Dès demain, je passerai mes matinées à Cornfield Manor. Grand-père veut m'initier à toutes ses affaires, me faire connaître toutes les entreprises des États-Unis, d'Angleterre, d'Écosse, du pays de Galles et même des Indes, où il a des intérêts. Il veut aussi m'apprendre à rédiger des lettres, pour ses fondés de pouvoir, ses banquiers, ses représentants et hommes de loi. Bref, il veut faire de moi son

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