Un vent d'acier
tard, Danton montait à la tribune, et, carrément cette fois, réclamait la modération. Rappelant qu’il avait été le principal artisan de toutes les mesures révolutionnaires, le créateur des Comités, du tribunal, il observa que la situation était à présent tout autre, elle n’exigeait plus tant de rigueur. Il avait fallu se rendre terrible quand la république était menacée. « Aujourd’hui, la république n’est-elle pas formidable à tous ses ennemis ? N’est-elle pas victorieuse et triomphante ? Il faut saisir ce moment pour éviter l’erreur de prolonger un système violent. Profitons de nos victoires, renonçons aux méthodes bonnes pour les heures de désespoir, mettons à l’ordre du jour la raison et la justice », dit-il en substance.
Le matin suivant, il vint de très bonne heure trouver Claude au pavillon de l’Égalité. « Écoute, je veux en finir, annonça-t-il. Il est temps d’unir nos efforts. Vous ne pouvez pas sérieusement me prendre pour un ambitieux. Que la Révolution se fixe, et je me retirerai. Je suis las, tu le sais bien, je souhaite d’aller vivre au calme dans ma maison d’Arcis. »
Claude haussa les épaules. « Je n’en crois rien, répliqua-t-il. Ou plutôt, je veux bien croire que tu le crois, mais ce n’est pas vrai, tu ne renonceras jamais au pouvoir.
— J’y renoncerai, je m’y engage, quand le pays jouira de la tranquillité à laquelle il aspire. Viens, accompagne-moi chez Robespierre. Je veux lui parler.
— Je t’en avertis, Robespierre ne saurait s’accorder avec tes idées de paix et de clémence systématique. Tu as entendu Barère, hier : il exprimait l’opinion unanime du Comité. »
Annonçant à la Convention la prise de Spire par l’armée du Rhin et de Moselle, Barère avait dit : « Dans les guerres ordinaires, après des succès pareils à ceux que nous remportons depuis l’offensive en Alsace, on aurait obtenu la paix. Les guerres des rois n’étaient que des tournois sanglants dont les peuples faisaient les frais et dont les souverains commandaient insolemment la pompe. Dans les guerres de la liberté, la seule victoire possible, c’est l’extermination des despotes. Lorsque les républicains ont formé quinze armées, il n’y a ni paix ni trêve ni armistice ni aucun traité à faire avec les tyrans, qu’au nom d’une république définitivement affermie, triomphante… Cependant quelques voix se font déjà entendre pour vanter les avantages de la paix. Quel politique habile, quel patriote sincère, quel républicain prononcé, oserait parler de mettre présentement fin à la guerre, sans crainte de compromettre la liberté à peine établie, et de faire perdre à la République française la puissance qu’elle commence d’acquérir aux yeux du monde ? »
Les tripotages diplomatiques auxquels Danton se plaisait tant n’avaient jamais eu d’autres résultats que de permettre aux Prussiens et aux Autrichiens battus de se retirer pour reprendre de plus belle la campagne.
« Robespierre, dit Claude, ne veut pas qu’en détendant les ressorts de la nation, on fasse le jeu de l’étranger. À l’heure actuelle, une trêve ne profiterait qu’à nos ennemis. Je trouve très suspect, je te le déclare, cet empressement que tu as pour voler à leur secours chaque fois que nous sommes en passe de les écraser.
— Voyons, Claude ! Tu ne mesures pas tes paroles. Tu m’accuses d’être un contre-révolutionnaire, moi, Danton, moi ! » Il se frappait la poitrine de ses gros poings.
« Non, je ne t’accuse pas, je constate seulement, de plus en plus, ce que j’ai toujours soupçonné : tu n’es pas un vrai républicain. Tu es, au fond, comme Mirabeau, comme ton ennemi La Fayette, comme Barnave, Lameth, comme Lanjuinais, comme ton ami Dumouriez. Tu as consenti à la république parce que tu n’as pu faire autrement, quand il ne t’est resté aucun espoir orléaniste. Tu as beau siéger sur la Montagne, tu es un homme du Marais. Si nous te laissions aller ton train, nous aurions bientôt un régime aristocratique sous l’étiquette républicaine, un régime où l’argent, à coup sûr, serait roi, avec l’intrigue pour reine et l’agiotage comme Premier ministre. »
Danton mimant l’indignation, Claude, de la main, lui imposa silence, et reprit :
« J’ai été contre la guerre tant qu’elle a paru évitable, maintenant il faut la poursuivre jusqu’à l’effondrement de la
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