Un vent d'acier
rapporteur conclut d’une façon plus pratique en demandant l’établissement de deux commissions chargées, l’une de proposer un Code civil, l’autre de mettre sur pied les Institutions républicaines.
Il ajouta, dans un de ces pathos dont il se montrait coutumier : « Sans doute n’est-il pas temps encore de faire le bien. Il faut attendre un mal général assez grand pour que l’opinion générale éprouve le besoin de mesures propres à faire le bien. Ce qui produit le bien général est toujours terrible ou paraît bizarre lorsqu’on commence trop tôt. » Cela voulait dire, probablement, qu’il fallait, à son avis, continuer pour l’instant le régime de rigueur. Et il réclama le renforcement des pouvoirs du Comité, avec la création d’un bureau de police pour la surveillance des fonctionnaires et des agents nationaux.
Sitôt le vote obtenu, Saint-Just composa lui-même, avec des compatriotes ou des amis à lui, comme Gâteau, Garnerin, son ancien précepteur Ève Demaillot, ce bureau dont il se trouva ainsi le chef, et il l’installa au premier étage des Tuileries.
Certes, il fallait lutter contre la corruption, mais Claude voyait d’un très mauvais œil se forger ainsi les instruments matériels et moraux d’un despotisme pire encore que celui de la monarchie. Tout en proclamant bien haut la volonté d’aboutir au gouvernement constitutionnel, on s’en éloignait chaque jour davantage. Malgré les déclarations réitérées de Saint-Just à l’Assemblée : « Nous n’avons plus d’appui que dans vous-mêmes… Vous avez donné un exemple qui doit être imité par tous », les formes parlementaires ne pouvaient laisser d’illusion : la Convention n’était plus qu’une machine à voter les motions présentées par Saint-Just, lequel semblait en passe de devenir pour Robespierre ce qu’Hébert avait été pour Marat. Le jeune homme appliquait la doctrine robespierriste, mais le disciple dépassait le maître. Cependant, malgré leurs divergences, et peut-être à présent leur défiance réciproque, ils demeuraient assez unis pour former avec Couthon, au sein du Comité, une sorte de triumvirat dont Barère se faisait le valet. Le jour même de l’arrestation des Dantonistes, il avait annoncé à la Convention : « Le Comité s’occupe d’un vaste plan de régénération, dont le résultat doit être de bannir à la fois de la république l’immoralité et les préjugés, la superstition et l’athéisme. » Le 17 germinal, Couthon avait fait prévoir le prochain dépôt d’un « projet de fête décadaire dédiée à l’Éternel ». Saint-Just venait à son tour de fournir sa collaboration à ce « vaste plan », mais l’essentiel appartiendrait à Robespierre qui, on le savait, travaillait à un grand discours.
Claude n’était point seul à s’alarmer de tous ces symptômes. La création du bureau de police provoqua les plus vives réactions de Carnot, de Lindet, Prieur, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. Lindet demanda que Saint-Just se rendît aux armées du Nord « pour y faire exécuter les décrets du Comité de Salut public ». Bon moyen de l’éloigner. Et puis il avait montré sa valeur sur ce théâtre, il ne pouvait là qu’être utile. Robespierre s’efforça de lui substituer Couthon. La majorité ne voulut rien entendre. La mission convenait, d’ailleurs, au jeune homme : il préférait le grand air pur des armées à l’atmosphère pesante et sournoise dans laquelle on vivait ici. Il était, comme les autres, nerveux, irrité par ses collègues, par Robespierre lui-même, et mécontent de tout. Il eut une violente querelle avec Carnot ; il l’accusa d’être lié avec les ennemis des patriotes.
« Sache, dit-il, qu’il me suffirait de quelques lignes pour dresser ton acte d’accusation et te faire guillotiner dans deux jours.
— Dresse-le, je t’y invite, répondit Carnot d’un ton de mépris furieux. Je ne te crains pas, ni toi ni tes amis. Vous êtes des dictateurs ridicules. » Et, comme Saint-Just le menaçait de demander son expulsion : « Tu sortiras du Comité avant moi ! » riposta Carnot. Englobant d’un geste le jeune homme, Couthon et Robespierre, il leur lança cette apostrophe : « Triumvirs, vous disparaîtrez ! »
Tout allait mal en ce moment pour Saint-Just. Claude savait par Claudine, amie d’Éléonore Duplay, qu’il venait quasiment de rompre ses fiançailles avec Henriette, la sœur
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