Un vent d'acier
de Le Bas.
Huit jours après le départ de celui-ci et de Saint-Just, Robespierre montait à la tribune de la Convention pour lire un Rapport sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains. « Le moment où le bruit de nos victoires retentit dans l’univers est celui où les législateurs de la République française doivent affirmer les principes sur lesquels reposeront la stabilité et la félicité de la république », commença-t-il. Puis il s’éleva contre les hommes « vendus à Pitt, qui attaquèrent tout à coup les cultes par la violence, pour s’ériger eux-mêmes en apôtres fougueux du néant et en missionnaires fanatiques de l’athéisme ». Ce n’était pas comme philosophe, prétendait-il, qu’il condamnait l’athéisme, mais comme politique. « Aux yeux du législateur tout ce qui est utile à la nation, et bon dans la pratique, est la vérité. L’idée de l’Être suprême et de l’immortalité de l’âme est un rappel constant à la justice, elle est donc sociale et républicaine. Tous les conspirateurs ont été des athées : Brissot, Vergniaud, Guadet, Condorcet, Hébert, Danton. » Condorcet, arrêté le 6 avril à Bourg-Égalité, venait de s’empoisonner dans sa prison.
Opposant au christianisme corrompu le christianisme épuré des vrais serviteurs de l’Être suprême, il poursuivit : « Ce culte déiste doit être national, et il le sera si toute l’éducation publique est dirigée vers un but religieux, et surtout si des fêtes populaires, officielles, glorifient la divinité. Ce culte réussira si les femmes le veulent. Ô femmes françaises, servez-vous de votre empire pour étendre celui de la vertu républicaine !… Si l’existence de Dieu, si l’immortalité de l’âme n’étaient que des songes, elles seraient encore les plus belles de toutes les conceptions de l’esprit humain… Celui qui peut remplacer Dieu dans le système de la vie sociale est à mes yeux un prodige de génie ; celui qui, sans l’avoir remplacé, ne songe qu’à le bannir de l’esprit des hommes, me paraît un prodige de stupidité ou de perversité. »
Et, pour terminer, cette menace : « Malheur à celui qui cherche à étouffer par de désolantes doctrines cet instinct moral du peuple, qui est le principe de toutes les grandes actions ! Les ennemis de la république, ce sont les hommes corrompus. »
La veille, au Comité, Claude avait entendu cette lecture sans dire un mot. Elle avait été, du reste, très froidement accueillie, sauf par Couthon et Barère, et avec un air de réjouissance sardonique par Billaud et Collot d’Herbois. Carnot, Prieur, Robert Lindet, Claude auraient refusé leur approbation, mais Billaud Varenne et Collot avaient poussé vivement à l’adoption. Comme Claude, en sortant, leur reprochait de favoriser ainsi l’absurde manie de Robespierre : « Tu ne comprends pas, mon ami, lui avait répondu le sombre Billaud. Nous l’aidons, oui, mais à se démasquer. »
À présent, les bras ostensiblement croisés, Claude écoutait les bravos qui couvraient les dernières paroles du petit homme poudré, cambré à la tribune dans son habit de nankin à rayures vertes et blanches. Il lut alors son projet de décret :
« Art. 1 er . – Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme. » Suivaient quatorze autres articles, dont l’un, le onzième, maintenait la liberté des cultes, conformément au décret du 18 frimaire. La liberté des cultes, mais pas celle de n’en pratiquer aucun. Ainsi, il devenait obligatoire de pratiquer une religion, obligatoire de croire en Dieu, quel que fût son nom. En vérité, c’était uniquement pour avoir abjuré le catholicisme que Gobel avait été guillotiné. Le dernier article arrêtait : « Il sera célébré, le 20 prairial prochain, une fête en l’honneur de l’Être suprême. David est chargé d’en présenter le plan à la Convention nationale. »
« Tu vas reprendre ta soutane, je pense, dit Claude à Gay-Vernon, un peu jaune, qui faisait semblant d’applaudir.
— Allons donc ! répliqua le ci-devant évêque. C’est une pantalonnade, ce décret. Il ne sera jamais applicable. »
La plupart des conventionnels pensaient comme Gay-Vernon. La motion semblait n’avoir ni but ni objet. Une lubie mystique de Robespierre. Un de ses accès de rousseauisme. On vota sans se donner la peine de
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