Un vent d'acier
l’étoffe.
Robespierre, dans le même temps, feuilletait des volumes à la devanture du libraire Maret, au ci-devant Palais-Royal. Le marchand, qui le connaissait de longue date et avait avec lui son franc-parler, lui reprocha d’avoir envoyé la malheureuse princesse à l’échafaud. « Je vous garantis, mon cher Maret, dit Maximilien, que loin d’être l’auteur de sa mort, j’ai voulu la sauver. C’est Collot d’Herbois qui me l’a arrachée. »
Ce soir-là, Saint-Just fit au pavillon de l’Égalité une apparition inattendue. Il venait conférer avec Carnot de la situation des armées après le nouveau revers subi par Pichegru qui s’était, au début de son offensive, laissé enlever Landrecies par les Autrichiens. Cela datait de sept jours. Le bureau militaire avait déjà pris des mesures pour pousser sur la Meuse, en rapprochant de l’armée des Ardennes celle de Jourdan et en leur adjoignant seize mille hommes retirés à l’armée du Rhin, c’est-à-dire à Bernard. Malgré tout ce que le jeune représentant put dire d’utile, cette conférence ne semblait pas indispensable. En redescendant du bureau, il querella un peu Prieur et Claude à propos des armes légères et des poudres dont il jugeait les réserves insuffisantes dans les dépôts, alors qu’il y en avait trop à Paris. Puis il disparut. Il coucha dans la chambre dont il disposait au pavillon même, et repartit à l’aube. Certainement, il avait dû s’entretenir en secret avec Robespierre.
Pour Claude, c’était là le véritable motif de ce voyage. Saint-Just accourait-il au bruit du discours de Maximilien, pour tâcher de le modérer dans sa croisade, pour lui en montrer les dangers ? Ou pour toute autre chose ? Les mystères, au pavillon, ne cessaient de se multiplier, de s’épaissir, avec le nombre croissant des bureaux. N’était-ce pas celui de sa police que Saint-Just venait voir ? Dans la matinée suivante, Claude fut averti par Héron que Pache et Xavier Audouin étaient arrêtés. En l’absence de Saint-Just, Robespierre ou Couthon s’occupaient du bureau de police. Claude y monta. Maximilien s’y trouvait en train d’annoter des pièces. À la question pleine d’étonnement : « Tu as fait saisir Pache et son gendre ? » il répondit : « Non, ils ont été arrêtés par ordre du Comité de Sûreté générale, dont quatre membres ont signé le mandat. J’ai seulement ordonné l’apposition des scellés. Saint-Just ne se trompait point : Pache ne doit pas rester en liberté, il avait lié, réellement lié partie avec les Hébertistes. Il ne risque rien, toutefois, il n’ira pas au tribunal.
— Bon. Pour lui, je ne peux rien dire, je ne le connais pas assez. Mais je t’avertis que ce soir, à la réunion, je demanderai la libération d’Audouin. J’ai répondu de lui, il a une influence excellente sur les Jacobins de Limoges. Il nous a aidés, Gay-Vernon et moi, à préserver la Haute-Vienne du fédéralisme, à contenir les Enragés locaux.
— Je ne m’opposerai pas à son élargissement puisque tu le juges bon. Je t’appuierai même, au besoin. Audouin n’est guère compromis. On lui reproche seulement d’avoir soutenu, pendant sa mission en Vendée, Ronsin et l’incapable Rossignol. Mais nous aussi, au début, nous avions eu confiance en eux. »
Estimant utile de se ménager d’autres appuis dans cette affaire, Claude se rendit au Comité de Sûreté générale en traversant le Palais national dans toute sa longueur. Par la salle de la Liberté où la déesse couleur de bronze élevait au-dessus du globe terrestre le bonnet phrygien, puis par les galeries donnant accès aux gradins publics dans l’Assemblée, il atteignit l’extrémité du pavillon de Marsan : maintenant pavillon de la Liberté. La Sûreté générale avait là une salle de séances et les cabinets réservés aux commissaires, le tout relié par un couloir en planches à l’hôtel de Brionne qu’occupaient les bureaux. Le cabinet de Vadier donnait sur le restaurant Berger et la terrasse des Feuillants, garnie de promeneurs flânant au soleil et regardant les ouvriers qui s’activaient dans le jardin à préparer la fête de l’Être suprême. Entre les tilleuls prêts à fleurir, on apercevait la Carrière avec le café Hottot et l’entrée du Manège.
À cinquante-huit ans, Vadier, méridional gouailleur, grand, sec, au long nez, au teint bistré sous les cheveux blancs, restait un
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