Un vent d'acier
préparait avec joie, encouragé par le temps magnifique. Tout semblait annoncer une ère nouvelle, heureuse. L’ennemi était repoussé des frontières, la crainte de la famine écartée. Même dans les prisons naissait une espérance. Jusqu’à la nuit, citoyens et citoyennes s’affairèrent à orner leurs maisons de feuillages, de drapeaux, de fleurs, de banderoles.
Le lendemain décadi, selon l’ancien calendrier le dimanche de Pentecôte – et Robespierre n’avait probablement pas choisi sans raison cette date, – le rappel général battit dès cinq heures du matin. À la brève nuit de juin avait déjà succédé une aurore radieuse. Le « Détail de l’ordre à observer pour la cérémonie », distribué dans toutes les sections, indiquait à chacune qu’elle devait se réunir, sous les ordres de son commissaire jacobin, se former en quatre colonnes, une d’adolescents, une d’hommes, une de femmes, une de jeunes filles, et se tenir prête à marcher. Le canon du Pont-Neuf donnerait à huit heures le signal du départ. Les quarante-huit sections se dirigeraient alors vers le Jardin national pour s’y rejoindre, se disposer sur les terrasses et dans les allées « où la place de chacune sera indiquée par des jalons portant des lettres alphabétiques ».
Claude était en train de s’habiller, en pestant contre Barère : il avait eu l’idée ridicule de faire revêtir en ce jour, à tous les représentants, l’uniforme des conventionnels en mission aux armées. Les inspecteurs de la salle, chargés de fournir ces costumes aux députés qui n’en possédaient point, les avaient livrés juste la veille au soir. Cette manie de l’uniforme ! Et ce stupide bouquet que l’on devait tenir à la main ! Tout cela rappelait furieusement la procession des États généraux, ses mantelets, ses cierges. C’était le même gaspillage des deniers publics, quand on continuait, et aujourd’hui plus encore qu’en 89, de courir après le numéraire.
En culotte de basin blanc, avec ses demi-bottes habituelles, Claude, maugréant, enfila donc cet habit bleu à haut collet rabattu, rouge, et revers de même couleur sur lesquels s’étalaient les revers blancs du gilet. Il attacha par-dessus, à sa taille, la haute ceinture tricolore retombant en deux pans. Mais, au grand amusement de Lise, il envoya promener le sabre livré avec l’uniforme. Un sabre, à lui qui n’avait jamais été seulement garde national ! Et que diantre les législateurs avaient-ils à faire d’un sabre ! « Ne grogne pas, tu es beau », lui dit Lise en lui nouant au cou ses bras nus. Elle était rose et blonde, en chemise ; sa grossesse ne se trahissait pas encore. « Je t’adore », dit-il. Il l’embrassa puis lui passa son déshabillé. Margot leur servit le déjeuner et s’ébahit de voir son maître devenu « un vrai général, tout comme le citoyen Bernard ».
« Eh non, répliqua Claude, montrant son collet, ses revers. Moi, je n’ai pas de broderies d’or là et là, ne le remarques-tu point ? »
Il avait été convenu que Lise assisterait à la cérémonie, des fenêtres du bureau de Cambon : l’ancien appartement de Madame Élisabeth. Quant au Champ-de-Mars, elle n’irait pas. Souberbielle ne le lui avait pas permis, ce serait trop fatigant. Il fallait faire attention : jusqu’au troisième mois, les accidents n’étaient pas rares. Voulant travailler au Comité avant de perdre les trois quarts du jour en mômeries, Claude dit qu’il les attendrait, elle et Gabrielle, au pavillon, pour les mener chez Cambon. Claudine, avec les élèves de l’Institut de Musique, faisait partie des chœurs.
Arrivé dans son cabinet, Claude y fut rejoint peu après par Vadier, qui n’avait pas consenti à se « travestir », dit-il. Et il ajouta en se frottant les mains : « J’ai quelque chose de bon à t’apprendre, mon ami. Nous savons depuis hier soir que dom Gerle a un certificat civique rédigé par l’Incorruptible. S’il n’y a point là, sans doute, de quoi souffler notre sainte Chandelle, on peut tout de même avec ça lui causer des embarras sérieux. N’est-ce pas ton avis ? »
L’Incorruptible, en ce moment, songeait à bien autre chose qu’à ses adversaires et à leurs trames. Ils ne comprenaient pas que s’il avait tenu à jouer le premier rôle dans cette fête, ce n’était pas pour y chercher un triomphe personnel, mais pour faire triompher la vérité qu’il était
Weitere Kostenlose Bücher