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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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population parisienne vivait uniquement des soixante sous par jour alloués aux sectionnaires. Les assignats ne valaient plus rien. La ruine, la faillite achevaient d’anéantir le commerce. Pourtant un luxe inconcevable subsistait. La volupté, l’avidité de jouir croissaient en même temps que la lassitude du peuple et le nombre des exécutions. La guillotine fauchait inlassablement fournée après fournée. Les prisons étaient combles. Cependant des centaines de culottes dorées remplissaient les tripots du ci-devant Palais-Royal, les salons de Venua et autres restaurateurs. La réquisition réclamait tous les citoyens en âge de porter les armes, exigeait les chevaux des cultivateurs, des charretiers. Et néanmoins des jeunes muscadins caracolaient dans les Champs-Élysées aux portières de riches équipages, dansaient, faisaient les jolis cœurs au Jardin national, au jardin Égalité, au jardin Marbeuf, avec des femmes à la vertu plus légère que leurs légers voiles de mousseline, aux cheveux coupés « à la victime », portant au cou un ruban rouge comme un trait de sang, aux oreilles des petites guillotines d’or et de pierres précieuses.
    L’échec de la Révolution dans l’État et dans les consciences apparaissait avec plus de désolante évidence au sein du Comité, dans ces oppositions causées par l’impuissance fondamentale des individus à s’accorder sur une vérité. Dans le pire du péril on avait sauvé la patrie, parce qu’il suffisait d’accomplir un farouche effort de volonté, de travail, d’autorité. Mais on n’avait pas sauvé la Révolution, on ne la sauverait point, parce que chacun en concevait selon sa vérité à lui l’aboutissement. Tous assez républicains, tous démocrates, les uns savaient, d’une certitude absolue, que la république devait être nécessairement vertueuse et déiste. D’autres, qu’elle devait être, absolument, rationnelle et fondée sur la dignité de l’homme, sur son unique responsabilité envers lui-même et autrui. D’autres, qu’elle ne s’établirait indubitablement pas sans l’élimination radicale de tous les Français portant en eux le moindre germe d’aristocratie. D’autres savaient non moins sûrement que seules l’indulgence, la patience, la longueur de temps viendraient à bout de l’aristocratisme et de la superstition, alors que l’abus de la guillotine les renforçait. Il n’était pas possible de faire une vérité avec des vérités si ennemies, et il semblait fatal que l’on continuât de s’entrecouper le cou, jusqu’au moment où, toutes les personnalités fortes ayant disparu, s’instaurerait un compromis de la médiocrité. Une fois encore, Claude se rappela le mot amer de Vergniaud : « La Révolution dévorera ses enfants. »
    Saint-Just aussi montrait de la tristesse et du désenchantement. Néanmoins il ne semblait pas perdre l’espoir de ramener la concorde dans le Comité ni même de conduire la Révolution à son but. Pour résoudre la crise de l’État, disait-il, il suffit de mettre enfin sur pied les véritables institutions républicaines. Beaucoup plus souple que Maximilien, Saint-Just, en dépit de son ultra-logique parfois simpliste, pouvait peut-être devenir l’arbitre de la situation. Il avait pris assez de distance avec Robespierre. Il allait le voir, on le savait, mais il n’était pas inféodé à sa coterie. Quand il se rendait chez Duplay, il se bornait à travailler avec Maximilien, dans sa petite chambre. Il ne participait pas aux dîners ou soupers de Choisy. Fuyait-il de la sorte Henriette Le Bas, la fiancée avec laquelle il avait rompu ? Sans doute, mais ses convictions, son désir de substituer à la terreur aveugle une exacte justice, devaient l’écarter des Payan, des Fleuriot, des Didié, comme il demeurait assez réticent envers Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. Il se confiait davantage à Lindet, à Claude, à Barère, à Prieur. Tous les quatre, ils se rapprochèrent de lui. Ils lui firent reprendre, avec Barère, la section des relations extérieures où Couthon l’avait remplacé.
    Le jour même, Saint-Just et Barère communiquaient au Comité, à la séance du soir, une note de l’agent de Bâle rapportant des informations recueillies parmi les aristocrates du Bas-Rhin, selon lesquels les Autrichiens se flattaient de voir une suspension d’armes bientôt suivie de paix. Cela semblait indiquer que Robespierre, en dehors du Comité, comme

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