Un vent d'acier
les galeries ou les gradins du public. Voyant la tournure des choses, ils s’éclipsaient. Robespierre tenta de remonter à la tribune. Il réussit à s’y maintenir sous une avalanche de clameurs, mais Thuriot, qui venait de relever Collot d’Herbois, étouffait toute parole dans les stridences de la sonnette.
Claude vit alors Robespierre jeter un regard à Saint-Just comme pour l’appeler à la rescousse. Saint-Just ne bougea pas. Les bras croisés, le visage tantôt pâle, tantôt rougi par un afflux de sang, il n’exprimait ni d’un mot ni d’un geste les sentiments qui alternaient en lui. Seules, cette pâleur, cette rougeur trahissaient tour à tour son désarroi et son espérance. Il n’était pas directement en cause, lui. Un moment viendrait sans doute où il pourrait lire son rapport, et tout serait sauvé, tout ce qui comptait, car, il l’avait écrit et il allait le dire : « Je souhaite que nous devenions plus sages. » Il avait l’intention de proposer le décret suivant : « La Convention nationale décrète que les institutions qui seront incessamment rédigées présenteront les moyens nécessaires pour que le gouvernement, sans rien perdre de son ressort révolutionnaire, ne puisse tendre à l’arbitraire, favoriser l’ambition et opprimer ou usurper la représentation nationale. » Sur un tel programme, tout le monde s’accorderait.
Devant ce regard gris-bleu qui ne répondait pas, et comme les cris redoublaient, Maximilien abandonna la tribune à Barère appelé par Billaud et Tallien entre lesquels il se glissa. Robespierre escomptait peut-être de lui un appui. N’avait-il pas, hier, proposé tout d’abord l’impression du discours ?
Barère ne parla ni pour ni contre lui, il se contenta de lire le projet de décret supprimant la fonction de général de la garde nationale, puis la proclamation appelant les bons citoyens au calme, à la confiance dans le gouvernement. Ces deux projets votés, il proposa de choisir le colonel Hesmart, chef de la cavalerie parisienne, pour le premier tour de commandement. Voté aussi sans délai.
Cette intervention, en ramenant le silence, avait produit une rupture de l’offensive. Vadier, succédant à Tallien et Billaud épuisés de cris et de sueur, voulut la relancer à sa façon. Il reprit l’affaire de la Mère de Dieu, révéla que dom Gerle possédait un certificat de civisme rédigé par Robespierre, et comment celui-ci s’était opposé à l’instruction. Il dénonça « le tyran qui a usurpé les attributions du Comité de Sûreté générale, le personnage astucieux qui sait prendre tous les masques ». Il railla « la modestie » de l’Incorruptible, insista longuement sur la façon dont il faisait espionner les députés. La salle s’indignait, riait, applaudissait sarcastiquement. Tout cela encore amollissait l’attaque. Elle allait s’égarer, s’amortir. On avait frappé les complices sans rien prononcer de décisif contre leur chef. Tallien s’élança de nouveau à la tribune.
« Il faut ramener la discussion à son vrai point, proclama-t-il.
— Je saurai bien, riposta Robespierre, la ramener à…»
Une grêle de « À bas le tyran ! » pleuvant sur lui de la Montagne, étouffa sa voix. On entendit encore : « Je réclame la parole ! Mes ennemis veulent abuser de la Convention nationale. » Puis tout sombra dans les clameurs. Il ne parlerait pas, il ne fallait pas le laisser parler. Il dut subir un implacable réquisitoire de Tallien qui l’accusa pêle-mêle de s’être caché, au 10 août, d’avoir déserté le Comité de Salut public pour en calomnier les membres, de s’être fait du bureau de police un instrument contre ses collègues, d’avoir multiplié les arrestations arbitraires. « C’est faux ! » protestait-il, dressé au pied de la tribune, tremblant de rage. Il montrait le poing à Tallien, criait des choses que l’on n’entendait pas, se tournait vers la Montagne, lui lançait des regards furieux et désespérés. « Parle, toi, jeta-t-il à Claude. Tu sais bien que ce n’est pas vrai, ce dont ils m’accusent ! »
Cette horrible curée soulevait le cœur. Comment ne pas ressentir de la commisération pour le malheureux, secoué, déchiré par la meute ? Claude se rappelait cette nuit de septembre où il avait dormi sur le lit de Maximilien tandis que celui-ci veillait, silencieux, auprès de lui. Il se souvenait aussi de la façon si affectueuse dont
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