Un vent d'acier
d’émotion silencieuse, puis Bernard s’écria :
« Allons les recevoir. Laferières, prenez toutes les mesures pour leur rendre les honneurs qui leur sont dus. »
Les brigadiers n’avaient pas attendu cet ordre. En se dirigeant au petit trot vers Guntersblum, on trouva les troupes rangées sur leurs positions de part et d’autre de la route, en front de compagnies. Elles formaient jusqu’aux environs du bourg une haie ininterrompue d’un côté. De l’autre, cette haie s’arrêtait à quelque distance des positions autrichiennes. Là, sur le front ennemi, une division d’uniformes blancs, culotte bleue, bonnet à devant de cuivre éclatant au soleil, était alignée, avec ses tambours et ses fifres, ses drapeaux timbrés de l’aigle noir. Et, devant elle, au centre, se tenait, sur son cheval isabelle, le vieux Wurmser avec son état-major.
L’enseigne blanche, indiquant que la troupe était neutralisée, apparut, portée par un petit piquet. Derrière, venait le groupe des officiers généraux. Wurmser se découvrit, s’avança vers eux. On le vit parler à Aubert-Dubayet. Le soldat de l’empereur et le soldat de la république se touchèrent la main. Puis le vieux chef fit reculer son cheval, et, tandis que les Français défilaient, avec armes et bagages, aux acclamations de leurs compatriotes, l’état-major ennemi, têtes nues, s’inclina devant les drapeaux des bataillons qui passaient. Les étendards de la monarchie impériale saluèrent en s’abaissant tour à tour les couleurs glorieuses de la liberté.
Les Mayençais, ayant donné leur parole de ne point combattre pendant un an la Prusse ou ses alliés, ne pouvaient reprendre leur place dans l’armée du Rhin. Ils continuèrent leur route pour rentrer en France. La nuit venue, Bernard les suivit, à l’arrière-garde de ses divisions. Le 28 juillet au soir, il rejoignait ses quartiers ramenés sous Landau et commençait son rapport pour le Comité de Salut public.
V
Depuis la veille, Robespierre siégeait lui aussi devant la table oblongue à tapis de serge verte, dans l’ancienne chambre de Marie-Antoinette. Sur l’invitation de Couthon, il venait d’y prendre la place laissée vide par le colonel Gasparin, démissionnaire pour raison de santé, prétendait-il ; en réalité parce qu’il n’admettait pas l’arrestation de Custine et de son principal lieutenant Lamarlière. Comme Couthon, Claude, dans la situation où l’on se trouvait, sentait la nécessité d’introduire au Comité une personnalité forte qui lui donnerait l’impulsion dont on avait tant besoin pour faire face à toutes les menaces. Robespierre en semblait seul capable.
Jamais, même en août de l’année précédente, le péril n’avait été si grand qu’en cette fin de juillet 93. De jour en jour, la république semblait s’approcher plus irrémédiablement de sa perte. Après la chute de Mayence et le recul des armées de Rhin et Moselle, au nord Valenciennes capitulait. Dans les Alpes, Kellermann, affaibli par les détachements qu’il avait dû envoyer contre les fédéralistes du Rhône et du Midi, défendait difficilement les passages de la Maurienne et de la Tarentaise. Dans les Pyrénées, les forces espagnoles progressaient. Projean et Expert, en mission à Perpignan, signalaient que les habitants de Villefranche-de-Conflent appelaient l’ennemi. Le 7 juillet, les Vendéens avaient pris les Ponts-de-Cé. Ils marchaient sur Angers. On venait de remplacer au commandement de l’armée de Vendée le ci-devant duc de Biron par Rossignol qui s’était distingué à la tête des bataillons sans-culottes. Sa popularité suffirait-elle à galvaniser les troupes, à en imposer aux états-majors parmi lesquels régnait un désordre épouvantable malgré l’envoi de commissaires : Bourdon de l’Oise, Goupilleau – surnommé le Dragon parce qu’il avait servi sous cet uniforme –, Choudieu, Richard, divisés eux-mêmes, les premiers soutenant les vieux militaires, les seconds les nouveaux officiers montagnards. Partout, les revers persistants, l’insuffisance de l’armement, de la nourriture rendaient les chefs suspects aux soldats. Beauharnais envoyait sa démission, en protestant de son attachement à la république. « Mais, ajoutait-il, dans ce temps où les trahisons se multiplient et où les ci-devant paraissent presque toujours être les chefs des complots liberticides, il est du devoir de ceux qui, quoique entachés de ce
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