Un vent d'acier
vice originel, ont cependant la liberté et l’égalité gravées dans leur cœur, de prononcer eux-mêmes leur exclusion. »
La situation s’aggravait encore de ce qu’elle rendait l’espoir aux royalistes. Même dans les départements fidèles, ils s’agitaient sourdement, complotaient, et ils trouvaient jusque dans le peuple la sympathie des gens qui, las de la guerre, de la disette, des contraintes et difficultés de toute espèce, désiraient secrètement le retour à l’ancien régime par la victoire des coalisés. Levasseur et Delbrel mandaient de Cambrai : « Tous les jours, l’ennemi est instruit de ce qui se passe à nos armées. Des villages entiers lui sont dévoués. » De Besançon, Bassal annonçait qu’une insurrection cléricale avait éclaté dans les montagnes du Doubs. Presque partout en province des troubles se produisaient au sujet ou sous prétexte des subsistances. Il fallait envoyer Lecointre et La Vallée à Rouen où l’on craignait un soulèvement, Chabot et André Dumont à Amiens, Collot d’Herbois et Isoré dans l’Aisne. Les uns et les autres écrivaient que les artisans des villes, jusqu’à ces derniers temps les plus fermes soutiens de la Révolution, donnaient eux aussi des signes de lassitude et d’exaspération contre le gouvernement.
Robespierre n’avait pas accepté volontiers de prendre place au pavillon de Flore. « Je cède à vos instances, avait-il dit à Claude, mais c’est contre mon inclination. » Toutefois, entré au Comité, il se mit résolument à la tâche avec son esprit méthodique. Dès l’abord, il avait précisé, pour Couthon, Claude et Saint-Just – Augustin était en mission dans le Midi –, sa politique en cette brève formule : « Subsistances et lois populaires ». Chacun d’eux aurait pu définir de même le programme indispensable. La difficulté consistait à le réaliser. Il fallait pour cela, dans l’Assemblée même ou les clubs, réprimer les ultra-révolutionnaires et en même temps contenir la queue de la Gironde qui, avec la complicité plus ou moins avouée des Dantonistes, recommençait à tramer sournoisement, menait partout l’opposition contre la Montagne. Le Comité de Sûreté générale, peuplé des amis ou clients de Danton, ne mettait aucun empressement à aider le Comité de Salut public, au contraire. On ne devait compter que sur la Commune, elle-même peu sûre des sections dont beaucoup subissaient l’influence des girondistes masqués et celle des Enragés. Dubon ne cachait pas à Claude que le Conseil général serait incapable d’empêcher un coup de force contre la Convention ou le gouvernement, car les gardes populaires, souffrant eux aussi de la pénurie et de la vie chère, se rangeaient parmi les mécontents.
Le 27, juste avant d’être appelé au Comité, Robespierre avait porté un coup aux girondistes et aux Dantonistes en faisant rejeter par la Convention leur accusation contre le ministre de la Guerre, le colonel Bouchotte, qu’ils rendaient responsable des désastres en Vendée. Ce rejet marquait un avantage pour les nouveaux Cordeliers dont Bouchotte était l’homme. Ils remplissaient ses bureaux, et il en remplissait les cadres des armées pour les sans-culottiser, ce que Robespierre, contrairement aux girondistes et Dantonistes, voyait du meilleur œil. Cet avantage aurait dû satisfaire les Enragés. Pas du tout. Le jeune Leclerc, reprenant les anciennes, les sanglantes vaticinations de Marat, proclamait, dans son journal, qu’il fallait sacrifier à la Révolution cent mille scélérats, et que le maintien seul des nobles à la tête des armées avait fait périr cent cinquante mille combattants. Le 29, Jacques Roux amenait à l’Assemblée une députation de sectionnaires, au nom de laquelle il demandait « la levée d’une force imposante pour aller au secours des subsistances ». Le Curé rouge était un bel homme de quarante et un ans, vêtu en sans-culotte mais avec beaucoup de propreté. Il avait, disait-on, le goût de la musique, jouait de la harpe. Il faisait du bien autour de lui, et avait adopté un jeune orphelin. Aujourd’hui, à la barre, après le rude accueil que lui avaient valu, quinze jours plus tôt, ses insolents propos, il mesurait ses paroles, mais la menace ne subsistait pas moins, en lui-même et dans les sectionnaires qui l’accompagnaient. Eux et lui, dit-il, espéraient que « la Fédération du 10 août serait le tombeau des
Weitere Kostenlose Bücher