Un vent d'acier
demander le jugement des Brissotins dans les vingt-quatre heures.
Claude intriguait, avec Panis au Comité de Sûreté générale, pour faire « oublier » Barnave. Irrité d’entendre rappeler ainsi ce nom, il ne put s’empêcher, en sortant, de dire à Hébert et Chaumette : « Prenez donc garde de ne point passer, à votre tour, du Capitole à la roche Tarpéienne. Il viendra peut-être un jour où vous souhaiterez ardemment qu’un indulgent vous protège. »
La Convention décimée avait perdu toute envie de résister à la Montagne, elle lui eût donné n’importe quoi, mais on ne pouvait pas, matériellement, pour satisfaire la délégation jacobine, décréter que le Tribunal révolutionnaire devait envoyer les Brissotins à la guillotine sans plus attendre. On se perdait en discussions confuses, dans lesquelles les « reptiles du Marais » espéraient noyer le problème. Claude voyait la manœuvre et n’intervenait pas plus que Robespierre. À six heures de relevée, Hébert survint, pressant. Le triomphe des Brissotins, annonça-t-il, ne laissait aucun doute. Gensonné se disposait, dès la fin des interrogatoires, à résumer toute la défense. Il était fort capable d’embobeliner le jury déjà égaré par l’éloquence de Vergniaud. « Si nous n’agissons pas incontinent, nous sommes enfoncés », confia Hébert à ses amis. Robespierre n’hésita point. « Que nous le voulions ou non, il faut marcher avec eux », dit-il à Claude.
Laisser acquitter les Brissotins, c’eût été la ruine de tout ce que l’on venait d’accomplir depuis leur expulsion, c’était rouvrir cette lutte dans laquelle la république et l’unité française avaient failli périr, c’était bannir à jamais l’espoir d’une véritable démocratie. Maximilien, abandonnant ces hommes qu’il avait d’abord trop couverts de sa mansuétude, griffonna un brouillon de décret :
124 UN VENT D’ACIER
« La Convention… : Considérant qu’aucun chef de conspirateurs n’a encore été jugé, que des tentatives ont été faites pour exciter des émeutes aristocratiques, etc. Consid. que le glaive de la loi ne paraît atteindre avec facilité que la tête des coupables obscurs, tandis les jugements des gds criminels éprouvent des lenteurs qui donnent libre cours à l’intrigue, imposture, audace c-révolution. Consid. qu’il est également absurde & contraire à l’institution du Trib. révol. de soumettre à des procédures éternelles des crimes où une nation entière est accusatrice & où l’univers est témoin. Décrète… : S’il arrive que le procès porté au Trib. révol. ait été prolongé trois jours, le président ouvrira la séance suiv te en demandant aux jurés si leur conscience est suffisamment éclairée. Si les jurés répondent oui, il sera procédé au jugement. Le présid. ne souffrira aucune espèce d’interpellation ni d’incident contraire aux disposit. de la présente. »
Osselin s’empressa de présenter ce texte. Osselin dissimulait chez lui une aristocrate, savait que le Comité de Sûreté générale ne l’ignorait pas, mais espérait la sauver et se sauver lui-même en se montrant sans-culotte à tous crins. Voté à peu près tel quel, le décret fut transmis au tribunal le soir même.
Le lendemain, dès l’ouverture de l’audience, à neuf heures, Fouquier-Tinville en requit la lecture. Après quoi le bel Herman, joli garçon quoique louchant un peu sous ses plumes noires, demanda aux jurés si leur conscience était suffisamment éclairée. Leur président, le ci-devant marquis d’Antonelle, ancien député, les consulta et répondit que non. Les débats se poursuivirent donc, puis furent suspendus à deux heures et demie pour reprendre à six. Alors, comme les jurés venaient de regagner leurs places sous la lumière fumeuse des quinquets et que l’on allait introduire les prévenus, Antonelle se leva.
« Je déclare, dit-il d’une voix émue, que la conscience du jury est suffisamment éclairée. »
Ces quelques mots produisirent un soudain silence. Les juges mêmes étaient impressionnés par cette phrase qui tranchait net la procédure, supprimait interrogatoires, plaidoiries et toutes les garanties reconnues aux accusés. On sentit le coup brutal, la Révolution forçait la porte du prétoire. Herman se ressaisit. Il ne lui restait qu’à soumettre aux jurés la liste des questions. Après quoi ils se retirèrent dans leur chambre pour
Weitere Kostenlose Bücher