Un vent d'acier
germeraient, avait noté : « Il faut poursuivre tous les députés chefs de la conspiration et les atteindre à quelque prix que ce soit », ajoutant, après avoir montré ces lignes à Couthon et à Claude : « Sauver l’honneur de la Convention et de la Montagne. Distinguer entre les chefs de la corruption et les faibles égarés. »
Claude ne se leurrait point : les députés coupables, on les atteindrait peut-être, les comparses aussi, mais assurément pas le principal auteur : ce baron de Batz que l’on poursuivait en vain depuis sa tentative d’enlèvement du roi sur le boulevard Bonne-Nouvelle. Depuis, il n’avait pas cessé d’agir. On sentait, on savait sa main en tout endroit où s’offrait une occasion de saper la république. Souvent on saisissait un de ses agents ou de ses complices ; lui, jamais, bien qu’il séjournât souvent et longuement à Paris, on ne l’ignorait pas. Pour le prendre, il aurait fallu une police bien autre que celle des sectionnaires, des quelques espions dont on disposait, et pour le désarmer des lois de sûreté encore plus sévères. Il aurait fallu pouvoir pétrifier de terreur tous ceux qui ne craignaient point jusqu’à présent de servir avec lui les cabinets de Vienne et de Londres. Muni par eux de tout l’or nécessaire, il trouvait des complices non seulement parmi les petites coalitions royalistes sans cesse décimées et sans cesse en train de se refaire, mais aussi dans les clubs, dans les comités révolutionnaires des sections, sur les bancs de la Convention, à la Commune, au Palais ci-devant Royal, dans les lieux de plaisir, à la Halle, et même dans les prisons. Des prostituées, des mondaines galantes, des bourgeoises exaspérées par la disette, des agioteurs, des banquiers, des garçons de restaurant, des fonctionnaires, des magistrats, des députés s’attachaient à lui soit pour l’argent soit par leurs convictions. Par l’intermédiaire de Proli, il avait eu en Séchelles une oreille et un œil au saint des saints. Les canons veillant à la porte du Comité de Salut public n’empêchaient pas la trahison de s’y glisser. Seule une terreur accrue y parviendrait peut-être. Qu’on le voulût ou non, on devait frapper impitoyablement. Il ne fallait pas avoir sacrifié pour rien des Barnave, des Vergniaud, une reine.
Bien entendu, Batz ne put être arrêté, ni son banquier, l’Anglais Boyd, qui, prévenu à temps, s’était déjà embarqué pour Londres. Chabot et Bazire avaient certainement donné le mot. Julien de Toulouse s’était enfui. Proli, caché. Il fut pris cependant, en banlieue. Hébert, averti sans doute par ses amis des deux Comités, dont l’insondable Barère faisait peut-être secrètement partie, contre-attaqua aux Jacobins sans oser cependant rompre en visière avec Robespierre. Il se contenta de sourdes menaces.
« La politique de tous les tyrans, dit-il, est de diviser pour régner, celle des patriotes est de se rallier pour écraser les tyrans. Déjà je vous ai avertis que des intrigants cherchaient à nous envenimer les uns contre les autres. On cite des expressions de Robespierre contre moi, on me demande tous les jours comment je ne suis pas encore arrêté. Je réponds : Y aurait-il encore une commission des Douze ? Cependant je ne méprise pas trop ces rumeurs ; quelquefois, avant d’opprimer on veut pressentir l’opinion publique. »
Oh ! ce n’était pas un imbécile, cet ancien escroc, cet écrivain presque génial dans son ordure. Il tentait adroitement d’émousser la hache, mais sous l’audace du ton, Claude devinait la peur. Le Père Duchesne dressait sa tête comme un serpent, il se gardait néanmoins d’aborder la vraie question, il ne soufflait mot du complot de l’Étranger, il abandonnait froidement ses affiliés, les Proli, les Desfieux, et s’efforçait de prouver son zèle patriotique en réclamant plus haut que jamais le procès des derniers Brissotins subsistant, la mort de Madame Élisabeth. « Quand on a jugé le scélérat Brissot, il fallait exterminer tous ses complices. Quand on a jugé Capet, il fallait anéantir sa race. » Puis, se tournant soudain vers Thuriot, il se dévoila en l’accusant de l’avoir « indiqué comme faisant partie des agents soudoyés par Pitt ».
Nul, autour de Robespierre, ne se souciait de défendre Thuriot. Il récoltait ce qu’il avait semé avec ses amis dantonistes et girondinisants. Seul, Desmoulins, qui détestait le
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