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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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aux Tuileries pour la présenter à la Convention.
    « Législateurs, s’écria-t-il, le fanatisme a lâché prise. Ses yeux louches n’ont pu soutenir l’éclat de la lumière. Nous avons abandonné les idoles inanimées pour cette image animée, chef-d’œuvre de la Nature. »
    Le chef-d’œuvre, porté sur une litière, n’était autre que la citoyenne Aubry, premier sujet de l’Opéra, choisie pour sa réputation de vertu autant que pour sa beauté. Un bonnet rouge coquettement posé sur ses cheveux, un ample manteau bleu jeté sur sa tunique blanche, une pique à la main, elle descendit avec grâce de sa litière pour embrasser le président qui la plaça près de lui. Elle était ravissante et Claude, comme ses collègues, l’applaudit de bon cœur.
    On ne pouvait pas ne point rendre sa politesse à une si charmante Raison. La Convention tout entière la reconduisit donc à la ci-devant cathédrale pleine encore de sectionnaires, de clubistes, de municipaux. Chaumette en profita pour recommencer la cérémonie. Dans le chœur, on avait dressé sur des entassements rocheux figurant la Montagne un petit temple rond dédié à la Philosophie et flanqué de bustes de sages. Autour, des théories de jeunes filles en blanc soutenaient de vertes guirlandes. Aux sons d’un hymne composé par Marie-Joseph Chénier :
    Descends, ô Liberté, fille de la Nature !
    Le peuple a reconquis son pouvoir immortel.
    Sous les pompeux débris de l’antique imposture,
    Ses mains relèvent ton autel…
    la déesse sortit du temple et s’avança entre les rochers vers les jeunes filles qui, l’enchaînant de leurs guirlandes, la menèrent vers un siège de verdure, puis défilèrent devant elle, lui rendant hommage. Des groupes d’enfants, de vieillards suivirent. Enfin figurants et figurantes exécutèrent, sur le thème de La Marseillaise, une scène lyrique sous la direction du maître de ballet de l’Opéra. C’était bien organisé, fort décent – et parfaitement vide, comme le dit Claude à son beau-frère Dubon qu’il avait retrouvé parmi les membres de la Commune.
    La vague antireligieuse, une fois lancée, ne pouvait s’en tenir à des manifestations si anodines. Clootz se déchaînait. Les exagérés – certains sincères, d’autres, comme Chabot, surenchérissant pour prouver leur civisme dont on avait quelques motifs de douter – introduisirent toutes les extravagances et les ridicules horribles du fanatisme dans ce qui aurait dû conserver la mesure d’une opération politique. On vit à Saint-Denis, rebaptisé Franciade, violer les cercueils des anciens rois. On vit le corps d’Henri IV, dans un état de parfaite conservation, mis debout contre un pilier, avec sa barbe grise, la figure pâle et les dents serrées. Un soldat lui coupa la moustache. Une femme, d’un soufflet, fit rouler le cadavre sur le sol. On sortit du tombeau Louis XIV, le visage noir comme de l’encre, Louis XIII encore reconnaissable, saint Louis cousu dans un sac en cuir. On fouilla la pourriture liquide pour en tirer les ossements de Marie de Médicis, d’Anne d’Autriche, de Marie-Thérèse, de François I er , de sa mère, de sa femme, et la pourriture sèche pour y trouver les restes des rois et reines des premières races. Tous, Capétiens, Valois, Bourbons, au milieu d’une puanteur effroyable furent jetés pêle-mêle dans des fosses. On vit la momie brune du grand Turenne exposée chez le gardien de la basilique, puis plus tard au Jardin des Plantes entre le squelette d’un éléphant et celui d’un rhinocéros. On vit à Reims, en grand spectacle, le vieux Ruhl briser la sainte ampoule, qu’il fallait détruire, sans doute, mais en secret. On vît brûler sur la Grève, devant la Maison commune – on ne disait plus l’Hôtel de ville – les reliques de Geneviève et autres patrons parisiens. On vit saccager le trésor de Notre-Dame, mutiler sa façade en arrachant des niches les statues des rois, des saints. Les sans-culottes exaltés se taillaient des pantalons dans le velours des chasubles. Partout en France, on menait en processions grotesques des ânes, mitrés, habillés en évêques ou portant le saint sacrement sous la queue. On vit enfin, dans certains quartiers de Paris comme dans certaines grandes villes, en province, le culte de la Raison, dégénérant en saturnales, sombrer dans la pire débauche. À Notre-Dame même, la femme de Momoro, jolie mais des plus galantes, remplaçait la

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