Un vent d'acier
les destructeurs des autels servent ses criminels desseins. »
On ne pouvait ni parler plus raisonnablement ni montrer avec plus de clarté la malfaisance des Hébertistes ni enfin prendre plus nettement parti contre les buveurs de sang, contre ceux qui combattaient absurdement le fanatisme par plus de fanatisme encore. C’était, de très haut, une déclaration de guerre à tous les « enragés », au nom de la Révolution elle-même. Oui, un discours de grand homme d’État, mais aussi d’un politique habile. Claude comprit pourquoi Maximilien leur avait demandé, à Couthon et lui, d’attendre. Avant d’ouvrir l’offensive contre la clique du Père Duchesne, il voulait s’assurer l’appui de la Convention pour cette lutte. Dans la position, tout ensemble ferme et modérée, où il venait de s’établir, il incarnait le vœu intime de la majorité : une part de la droite subsistante, toute la Plaine et la plus grande partie de la Montagne. Il en recueillit les applaudissements.
Mais, trois jours plus tard, les mêmes acclamations saluèrent la section de l’Unité dont les membres se présentaient en cortège grotesque, affublés de chapes, de dalmatiques, les bras chargés de ciboires, d’ostensoirs, calices et autres objets du culte. Ils les offrirent à l’Assemblée. Après quoi, étalant un drap funèbre pour symboliser l’enterrement de la superstition, ils dansèrent une ronde au milieu de la salle, aux accents de Malbrough. Même pour qui n’attachait aucun caractère sacré à ces objets, le spectacle était affligeant de bassesse et d’indignité. On applaudissait néanmoins. Par peur. Et le ci-devant évêque Gay-Vernon comme les autres. « Tu n’as pas honte ? » lui demanda Claude, les bras résolument croisés. « Je déteste la religion, je n’ai jamais cru à un dieu, je crois en l’homme, en sa dignité, en sa conscience. Plutôt que d’applaudir à un pareil abaissement j’aimerais mieux me laisser couper la tête. » Ensuite il dit à Robespierre : « Pour pouvoir compter sur le soutien de la Convention, pour la contraindre à réaliser son vœu, il faudrait d’abord lui prouver que c’est nous les plus forts, non pas les enragés. » Étrange paradoxe : se faire craindre, pour lutter contre la peur !
« Sois tranquille, mon ami », répondit Maximilien.
Le lendemain soir aux Jacobins, comme Hébert parlait de nouveau, sourdement, d’un complot contre les patriotes et se plaignait des « interprétations perfides » que certains intrigants donnaient au dernier discours de Robespierre, l’ex-dantoniste Momoro, l’ancien imprimeur de Desmoulins, devenu membre du Département, emboîta le pas : « À la section Marat, s’écria-t-il, on répand le bruit qu’Hébert, Chaumette, Pache, Dufourny et moi-même allons être arrêtés. » Il s’en indigna, puis conclut en lançant, comme un défi à Robespierre : « Il faut exterminer les prêtres, les aristocrates et les restes impurs de la race des tyrans ! »
Maximilien monta lentement à la tribune. Maigri, les traits accentués, il produisait une singulière impression de concentration, de rigueur. Sa personnalité, trempée dans l’autorité qu’il s’était peu à peu acquise, s’imposait avec force et pouvait à bon droit remplir d’inquiétude les renards du genre Hébert, pressés autour de lui sur les gradins de la vieille église. La voix du maître tomba sur eux, tranchant : « Est-il vrai que nos plus dangereux ennemis soient les restes impurs de la race des tyrans ? Est-il vrai encore que la principale cause de nos maux soit la superstition ? La superstition, elle expire. Vous craignez les prêtres, et ils abdiquent. » Sans daigner regarder Hébert qu’il allait désigner néanmoins clairement avec ses amis, pour la plupart nouveaux venus aux Jacobins, et presque tous apparus depuis le 10 août, Robespierre poursuivit avec un suprême dédain : « De quel droit des hommes, inconnus jusqu’ici dans la carrière de la Révolution, viendraient-ils chercher au milieu de ces événements les moyens d’usurper une popularité fausse, jetant la discorde parmi nous, troublant la liberté des cultes au nom de la liberté, attaquant le fanatisme par un fanatisme nouveau et faisant dégénérer les hommages rendus à la vérité pure en farces ridicules ? »
Il n’entendait pas que les applaudissements accordés par la Convention à la chienlit de l’autre jour
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