Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
retour. Il se retrouve les mains dans le cambouis. La cérémonie officielle a été présidée par celui qui était alors le responsable communiste régional, Lê Duc Tho – interlocuteur, une vingtaine d’années plus tard à Paris, de Henry Kissinger. Au préalable, les communistes avaient remis à Pham Xuân Ân, pour qu’il l’étudie, le programme politique du Parti des travailleurs. « En langue française », précise-t-il. Il ne peut s’empêcher de sourire.
À cette date, les Français sont en train de mettre en place leur État vietnamien « associé » avec Bao Dai pour figure de proue. Les officiers vietnamiens de l’armée française sont reversés dans la jeune armée de cet État pour en former le premier encadrement. Pham Xuân Ân n’a pas accompli son service militaire. Il se débrouille, en 1954, pour se faire affecter au TRIM , l’organe de liaison tripartite qui associe l’armée de Sài Gòn, les Français et la mission d’aide militaire américaine. « J’en suis le seul sous-officier, tous les autres étaient officiers », tient-il à préciser.
Il côtoie ainsi de futurs responsables de l’état-major sud-vietnamien, qui tremperont dans des coups d’État et se disputeront le pouvoir. Plusieurs d’entre eux font appel à sa connaissance de l’anglais pour remplir les formulaires de candidature à des stages dans des académies militaires américaines. C’est le cas de Nguyên Van Thiêu, chef de l’État de 1965 à 1975. Pham Xuân Ân se lie avec le pilote Nguyên Cao Ky, Premier ministre de 1965 à 1967, puis vice-président de la République du Sud pendant quatre ans. Les deux hommes ont un point commun : leur intérêt pour l’élevage de chiens. Pham Xuân Ân établit des relations personnelles, dans le cadre du TRIM , avec de jeunes agents de la CIA qui reviendront, pendant la guerre américaine, diriger cette agence. Son carnet de très bonnes adresses commence à prendre du volume.
Les instructions de ses supérieurs communistes concernent, à l’époque, surtout le renseignement : les déplacements des forces françaises, leurs moyens, la nature de l’aide militaire américaine, les stocks d’essence. Un exemple, dit-il : avant de mourir, le général de Lattre de Tassigny s’est rendu aux États-Unis, en 1951, pour réclamer un renforcement de l’aide américaine. Quels sont les résultats de cette mission ? Quand le Viêt Minh apprend qu’une unité du corps expéditionnaire français vient d’être affectée à une opération, il demande aussitôt à Pham Xuân Ân de quels moyens elle dispose.
Un double problème se pose avec acuité. Après la signature des Accords de Genève en 1954, l’armée française se retire et l’influence américaine supplante très vite celle de la France. Comment assurer au mieux la sécurité et les conditions de travail du premier « espion stratégique » du Viêt Minh ? Doit-il demeurer dans les rangs de la jeune armée sud-vietnamienne ? Sinon, existe-t-il une meilleure planque ?
Muoi Huong, un agent du Parti, affirme avoir trouvé la recette. À l’époque, il est le supérieur direct de Pham Xuân Ân. Il lui tient le langage suivant : « Si tu essaies (la carrière militaire), tu pourras devenir au mieux un colonel. Un colonel ne peut pas recueillir beaucoup d’informations. Si tu veux devenir un politicien dans le désordre ambiant, tu seras un jour emprisonné. Aussi, le mieux est de devenir journaliste. S’engager dans le journalisme revient à s’engager en politique mais alors que personne ne sait que tu es impliqué en politique. Mais, une fois que tu seras journaliste, il faudra être excellent afin de bénéficier du respect des Américains et des fantoches. Aussi, tu dois aller étudier aux États-Unis. »
Pham Xuân Ân quitte en 1957 l’armée du régime de Sài Gòn où il était, depuis trois ans, secrétaire au département de la guerre psychologique. L’atmosphère politique est devenue étouffante. Candidat de Washington, Ngô Dinh Diêm a été imposé deux ans auparavant à Bao Dai comme Premier ministre. Peu à peu, il évince, avec le soutien des Américains, les partisans de l’ancien empereur, qui n’était plus qu’un chef de l’État absentéiste. Exilé en France, le dernier rejeton de la dynastie des Nguyên (1802-1945) est déposé à la suite d’un référendum commandité par Ngô Dinh Diêm en octobre 1955. Des officiers jugés pro-français
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