Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
Il est inquiet en débarquant à Tân Son Nhât, l’aéroport de Sài Gòn. La sécurité va-t-elle le cueillir à sa descente d’avion ? Rien ne se produit et, pendant le mois suivant, il reste tranquillement au domicile de sa mère pour essayer de découvrir s’il fait ou non l’objet d’une surveillance. Il ignore si le PC est au courant de son retour et ne sait comment reprendre contact avec ceux de ses camarades encore en vie ou qui ne croupissent pas en prison. Prudemment, il attend que le réseau communiste clandestin de Sài Gòn prenne l’initiative. Dans l’intervalle, soucieux d’en savoir plus sur l’attitude, à son égard, du régime de Sài Gòn, il rend visite au D r Trân Kim Tuyên. Ce personnage avait monté, quelques années auparavant, avec l’aide de la CIA , les services de renseignements – la « police secrète », disait-on – du régime de Sài Gòn.
Le D r Trân Kim Tuyên, qu’on appelait le « petit docteur » en raison de sa taille réduite, était un homme avenant, aux yeux très vifs, auquel Pham Xuân Ân m’a présenté peu avant la fin de la guerre. Forte personnalité, ce catholique originaire du Nord était un fouineur toujours souriant, parfois un peu mielleux, qui avait alors perdu beaucoup de son influence tout en continuant à faire peur à pas mal de monde. Mais, en 1959, en dépit de ses réserves à l’égard du président Ngô Dinh Diêm et de son très influent frère Ngô Dinh Nhu, devenus impopulaires et qui avaient perdu contact avec les réalités, Trân Kim Tuyên demeure le patron des services secrets du régime, lesquels sont directement rattachés à la présidence.
À ce titre, il a aidé Pham Xuân Ân, en 1957, à obtenir l’autorisation de quitter le Viêt Nam pour aller poursuivre des études aux États-Unis. Que Pham Xuân Ân lui rende une visite de politesse à son retour est la moindre des choses et ne peut pas soulever de soupçons. Il pourrait en profiter pour tester la situation, même si le D r Trân Kim Tuyên n’est pas du genre à laisser filtrer ce qu’il pense.
Le « petit docteur » lui propose, tout bonnement, de travailler pour lui avec, pour couverture, puisque Pham Xuân Ân a fait des études de journalisme, un poste à l’agence officielle Vietnam-Presse. La situation ne manque pas de sel : Pham Xuân Ân est ainsi invité à entrer dans la profession de journaliste pour pouvoir espionner, mais pour le compte de Sài Gòn et non pour celui de ses camarades communistes, les premiers à imaginer le stratagème. Si jamais, se dit-il, le bureau du Président donne le feu vert à son recrutement, cela voudra dire qu’il est sain et sauf. Il accepte donc l’offre. Comme la présidence ne trouve rien à redire, il est ainsi promu agent des services secrets du Dinh Doc Lâp, le palais de l’Indépendance, siège de la présidence à Sài Gòn.
Sous haute protection, Pham Xuân Ân parvient à mettre un pied dans la presse. Il était temps car le D r Thyên connaîtra la disgrâce lorsqu’une tentative de coup d’État fera trembler le régime en 1960. « Il a même été nommé ambassadeur en Égypte mais Jamal Abd al-Nassir a refusé d’accréditer un ancien chef de la police secrète », se souvient Pham Xuân Ân. Mis à l’écart, le « petit docteur » assiste au démantèlement progressif de son réseau. En novembre 1963, une junte présidée par le général Duong Van Minh et appuyée par l’ambassade américaine renverse et fait assassiner Ngô Dinh Diêm et Ngô Dinh Nhu. Le D r Trân Kim Tuyên se retrouve encore davantage sur la touche et, après le renversement de cette junte par le général Nguyên Khanh, au début de l’année suivante, il échoue pour quelques mois en prison. Pham Xuân Ân a réussi, de justesse, son intégration.
Son séjour à Vietnam-Presse ne dure qu’une année mais elle est fructueuse. Pham Xuân Ân connaissait le directeur de l’agence, Nguyên Thai, l’un des premiers et rares journalistes sud-vietnamiens à avoir séjourné aux États-Unis. Ce dernier lui avait d’ailleurs proposé de devenir le correspondant de Vietnam-Presse aux États-Unis au cas où Pham Xuân Ân y aurait prolongé son séjour après la fin de ses études. Nguyên Thai l’accueille avec d’autant plus de plaisir que son agence abrite plusieurs correspondants à l’étranger qui espionnent pour le compte du D r Trân Kim Tuyên et dont l’arrogance et la
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