Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
préfèrent se réfugier en France alors que d’autres optent pour un profil bas ou se rallient à Ngô Dinh Diêm.
Sài Gòn rejette, en juillet de l’année suivante, la tenue d’élections générales, prévues par les Accords de Genève. Au sud du dix-septième parallèle, ligne de démarcation entre le Nord et le Sud, un régime policier se met peu à peu en place sous la houlette du président Ngô Dinh Diêm, ancien mandarin catholique de la Cour de Huê, et de son frère Ngô Dinh Nhu. Un autre frère, Ngô Dinh Cân, que Pham Xuân Ân a bien connu, fait alors la loi dans le Viêt Nam du Centre. L’aide militaire américaine permet de poursuivre l’équipement et la formation de l’armée du Sud, devenu République du Viêt Nam. Contre les communistes ou tout ce qui est assimilé, une vicieuse chasse aux sorcières s’organise une fois mises au pas les sectes politico-religieuses ou maffieuses qui avaient soutenu Bao Dai.
De nombreux cadres du Viêt Minh sont rappelés au Nord alors que des centaines de milliers de nordistes, pour l’essentiel des chrétiens, ont gagné le Sud où ils formeront bientôt la base anticommuniste du régime. Hà Nôi attend de voir, sans trop d’illusions, si les Accords de Genève seront appliqués. Le Viêt Minh ne laisse, dans le Sud, que des cellules dormantes et des réseaux de renseignements. Le Nord a ses propres difficultés : il est le théâtre d’une réforme agraire radicale et de purges sombres au sein du Parti qui provoquent de profondes blessures et modifient durablement l’équilibre politique en faveur d’apparatchiks staliniens.
La formation d’un Front national de libération du Sud ( FNL ), c’est-à-dire la reprise de la lutte armée dans le Sud, ne sera décidée par Hà Nôi que plus tard, en 1959, et ne sera officiellement annoncée que l’année suivante. Un commandement militaire pour le Sud ne sera remis en place qu’en 1962. Entre-temps, les communistes clandestins demeurés sur place – environ soixante mille, selon Hà Nôi – sont soumis à de fortes menaces. Le risque d’une dénonciation est énorme. « À Sài Gòn, 80 % des cadres du PC seront emprisonnés ou éliminés », souligne Pham Xuân Ân. Autant dire que leurs réseaux sont pratiquement démantelés.
Pour Pham Xuân Ân, la priorité est d’organiser son séjour aux États-Unis. Ce n’est pas facile. La délivrance d’un visa d’études, par les Américains, fait l’objet d’une enquête approfondie. Pham Xuân Ân doit montrer patte blanche. Or sa sœur cadette a gagné le Nord. Décision est donc prise, selon Muoi Huong, d’occulter le sujet. Si les Américains lui posent la question, il n’a qu’à répondre qu’il ignore tout de cette histoire. Ils ne la posent pas et, comme Pham Xuân Ân maîtrise déjà bien la langue anglaise, il obtient son visa. Le financement du voyage et du séjour est plus difficile. Pham Xuân Ân, dont les maigres économies ne peuvent lui payer que le billet aller-retour, se débrouille comme il le peut. Futur membre du Bureau politique du PC et ministre de l’Intérieur, Mai Chi Tho, frère cadet de Lê Duc Tho, l’aide à rassembler la somme nécessaire. À la veille de son départ, son père meurt dans ses bras.
Alors que ses supérieurs avaient envisagé un séjour de quatre à six ans aux États-Unis, Pham Xuân Ân n’y reste que deux ans. Il se retrouve en Californie à la Community University du comté d’Orange, dont il est « le premier résident vietnamien » – ce qui le fait aujourd’hui sourire. En effet, ce même comté se transformera, après 1975, en un Little Sài Gòn peuplé de réfugiés très anticommunistes. Environ cent cinquante mille Vietnamiens y sont installés depuis. Au bout de deux ans, Pham Xuân Ân n’a plus d’économies. L’obstacle est surmontable : pour payer la suite de ses études, une école militaire américaine lui propose d’enseigner le vietnamien.
Mais la chasse aux sorcières bat son plein au Sud-Vietnam et plusieurs de ses camarades sont en prison. Muoi Huong est tombé dans les filets des services de sécurité du Sud. Pham Xuân Ân l’a appris par une lettre codée de son frère cadet, lui-même un moment interné. Ce frère lui aurait également fait comprendre que l’insurrection allait être relancée. Pham Xuân Ân écourte donc son séjour.
À son retour, en 1959, à l’âge de trente-deux ans, il plonge dans des eaux inconnues.
Weitere Kostenlose Bücher