Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
paresse le froissent. Comme il n’est pas question de se mettre à dos le patron des services secrets, il confie à Pham Xuân Ân la supervision, avec carte blanche, de ces employés. Après avoir fait valoir au D r Trân Kim Tuyên que la fainéantise de ces correspondants ne peut que dévoiler l’espionnage auquel ils sont censés se livrer, Pham Xuân Ân les met au travail.
La situation au Viêt Nam se glissant progressivement à la « une » de l’actualité internationale, l’agence britannique Reuters passe un accord avec Vietnam-Presse pour partager un correspondant vietnamien commun. Pham Xuân Ân est désigné pour occuper ce poste, ce qui n’est probablement pas le fruit du hasard et suscite des jalousies. Le D r Trân Kim Tuyên accepte qu’il cesse d’émarger auprès des services secrets tout en y maintenant des contacts étroits. Il demeure encore un temps à Vietnam-Presse puis, à partir de 1961, ne travaille plus que pour Reuters, où il reste quatre ans avant d’être « débauché » par l’hebdomadaire américain Time. Il écrit également quelques articles pour le New York Herald Tribune et le Christian Science Monitor.
En l’espace de sept ans et peut-être au-delà de ses espoirs, Pham Xuân Ân a atteint l’objectif assigné par le PC : apprendre le journalisme et être recruté par une influente publication américaine. L’étroitesse de ses relations avec le D r Trân Kim Tuyên l’a placé, au moins au début, au-dessus de tout soupçon. Entre-temps, après plusieurs tentatives infructueuses, car les rangs communistes avaient été décimés dans le Sud pendant qu’il séjournait en Amérique, il a repris contact avec le mouvement communiste par l’intermédiaire d’un ancien adjoint de Muoi Huong.
« Vos activités clandestines ont-elles affecté votre travail de journaliste ?
— Je n’ai jamais menti ni dans mes dépêches ni dans mes échanges avec d’autres journalistes. Je n’étais pas là pour le faire. Au contraire, mon intérêt était d’écrire et de dire la vérité », m’a-t-il expliqué.
Pour un espion, l’intérêt de cette couverture journalistique dépendait de la crédibilité de ses informations et de ses analyses. Personne, surtout dans les rangs de la CIA et de son pendant sud-vietnamien, le CIO , ne doit pouvoir soupçonner que le travail accompli par Pham Xuân Ân peut être guidé par un souci de désinformation. À Time, il a obtenu le statut de « full staff », celui réservé aux correspondants dépêchés des États-Unis.
À la lecture des reportages de Time, si précis, Robert Shaplen, reporter au New Yorker et ami commun, se demande alors, non sans un brin de jalousie, quelles peuvent être les sources de Pham Xuân Ân. Pour satisfaire cette curiosité et supprimer toute velléité de soupçon, ce dernier l’emmène donc un matin faire la tournée des marchés aux oiseaux et aux animaux qu’il fréquente régulièrement non seulement par goût mais aussi pour nourrir ses chiens et ses oiseaux.
« J’ai expliqué à Robert Shaplen que, s’il n’y a pas de sauterelles au marché, c’est que la région dont elles proviennent a été prise par les Viêt Côngs. Et, si les sauterelles réapparaissent sur le marché, c’est que les gouvernementaux ont repris le secteur. C’était la même chose concernant des oiseaux rares ou le gibier », m’a-t-il raconté des années plus tard. Cela ressemble, en fait, à une petite leçon de journalisme offerte en prime : dans la capitale des rumeurs, mieux valait diversifier ses sources. « Constituer un réseau de sources prend beaucoup de temps. Vous devez être franc et sincère, et vous devez protéger vos sources. Vous devez également les obliger – leur donner des renseignements qu’elles veulent savoir, les inviter à déjeuner et à dîner, leur offrir des présents de Nouvel An. Sài Gòn fonctionne selon ce modèle de cercles sociaux », lui explique Pham Xuân Ân.
Robert Shaplen rapporte en 1972, dans les colonnes du New Yorker, que Pham Xuân Ân a conclu cette tournée en lui disant : « Les bons journalistes sont les informateurs les plus utiles parce qu’ils se retrouvent dans la position d’entendre des choses provenant de sources très différentes. » Robert Shaplen semble avoir été assez convaincu par la démonstration de Pham Xuân Ân pour juger que ce dernier est le journaliste vietnamien « le plus travailleur et le plus
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