Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
son entourage, ne s’en doute. Il ne porte jamais d’arme à feu ; de toute façon, il serait bien incapable de s’en servir pour n’avoir jamais suivi d’entraînement militaire sérieux.
Tant que cela l’a arrangé, il a laissé courir la rumeur selon laquelle il pouvait être un agent de la CIA . Après tout, il a bien connu Edward Lansdale à l’époque où il était affecté au TRIM . Futur général, Edward Lansdale a été un « faiseur de rois » – l’expression de Pham Xuân Ân – et un expert en contre-guérilla qui avait déjà joué un rôle aux Philippines contre la rébellion Huk, menée par des communistes. Plus tard, des Américains en viendront même à demander à Pham Xuân Ân son avis sur la façon dont ils doivent gérer leurs relations avec les Vietnamiens.
Il a lui-même longtemps conservé des réflexes acquis à cette époque. Une vingtaine d’années après la victoire de 1975 et alors que sa véritable identité était depuis longtemps publique, il parlait encore des communistes comme s’il n’en faisait pas partie. « Les communistes pensent », ainsi commençait-il ses phrases, ce qui lui a valu, un jour, une réflexion gentiment ironique d’un ami vietnamien commun, qui lui a rétorqué : « Pourquoi ? Tu n’es pas communiste, toi ? » Une remarque que Pham Xuân Ân n’a pas tenu à relever. « Les communistes me traitaient de My Con, de fils d’Américain », disait-il. Il s’en amusait. Le double langage lui était étranger : il avait tout simplement gardé le pli, l’habitude de parler du Parti à la troisième personne, afin d’éviter des dérapages qui auraient pu, dans d’autres circonstances, lui coûter cher.
Un soir, au moment où il rédige un message à l’encre sympathique, sa fille, alors écolière, vient le voir à l’improviste. Il n’a pas le temps de cacher sa feuille blanche et de paraître faire autre chose. La petite rapporte son étonnement à l’un de ses frères : le père écrit mais rien ne s’inscrit sur le papier. Mis au courant, Pham Xuân Ân s’en tire en expliquant le lendemain à sa fille qu’elle n’a rien vu en raison de l’éclairage : elle se trouvait à contre-jour.
Quand il est recruté par l’agence Reuters en 1961, les services secrets procèdent à un contrôle d’identité nécessaire à l’obtention d’une carte de presse en tant qu’employé d’une publication étrangère. Pensant bien faire, le D r Trân Kim Tuyên leur dit que Pham Xuân Ân ne travaillait pas pour lui alors que Pham Xuân Ân a écrit le contraire. À la demande de ce dernier, qui veut éviter à tout prix de faire l’objet d’une enquête approfondie, le D r Trân Kim Tuyên est contraint de se dédire. Une autre affaire lui donne une frayeur beaucoup plus sérieuse quand un courrier entre lui et la résistance se fait pincer et tuer.
Le message de Pham Xuân Ân, dont ce courrier est porteur, signale aux Viêt Côngs qu’un agent vietnamien de la CIA est infiltré dans leurs rangs. Il est remis au D r Trân Kim Tuyên, lequel en informe Pham Xuân Ân. Le « petit docteur » veut savoir quel membre de ses services a pu informer les communistes de la présence d’un espion dans leurs rangs. « Pensez-vous que nos services soient infiltrés par les Viêt Côngs ? » lui demande le D r Trân Kim Tuyên. Heureusement pour Pham Xuân Ân, un membre du bureau de Trân Kim Tuyên l’a déjà informé de l’affaire. Il a donc eu le temps de préparer sa répartie. « Non, je ne le pense pas », répond-il calmement. Les Américains, explique-t-il, ont contrôlé tous nos curriculums, il doit donc s’agir d’une histoire de rivalité interne pour prendre la place d’un collègue dont les fonctions sont nettement mieux rémunérées. L’affaire en reste là.
En août 1963, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec ses activités clandestines, il est menacé de perdre son emploi. C’est l’époque où les bonzes se révoltent contre les frères Ngô Dinh Diêm et Ngô Dinh Nhu. Certains d’entre eux s’immolent. Washington est de plus en plus tenté de se débarrasser d’un régime carrément impopulaire et répressif et qui perd rapidement le contrôle des campagnes au profit des Viêt Côngs. Ngô Dinh Diêm « est le fourrier du communisme », rapporte alors, dans les colonnes du Monde , un long reportage de Robert Guillain.
Sài Gòn foisonne de rumeurs et de complots. Lew
Weitere Kostenlose Bücher