Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
Xuân Ân est alors le confident.
Une fois libéré, Cao Giao a repris vie grâce au dévouement de son épouse – « ma canne », dit-il, dont il a sept enfants. La famille vit assez chichement dans un compartiment situé au pied d’un pont sur la rivière Thi Nghe, une banlieue de Sài Gòn. En 1975, Cao Giao refuse de quitter le Viêt Nam. La victoire communiste est l’occasion, pour sa famille originaire du Nord, de retrouvailles exemplaires. « Vingt-sept membres de sa famille, dont son père et son frère, étaient membres du PC », selon Pham Xuân Ân.
Mais l’euphorie ne dure guère. Sans ressources, Cao Giao connaît des moments difficiles et, comme la police du nouveau régime s’inquiète de sa réputation d’ancien frondeur et, surtout, d’un passé pro-japonais, il tente de s’exiler. Il est alors arrêté, lui qui n’a plus que des souvenirs, et détenu dans la sinistre prison de Chi Hoa, de 1979 à 1983. Sa santé se dégrade rapidement et il est relâché sur intervention d’Amnesty International, puis autorisé à rejoindre ses enfants en Belgique où il est mort début 1986, après deux années d’exil, d’un cancer. Il avait soixante-cinq ou soixante-six ans. Cao Giao, qui a travaillé directement pour la Kenpeitai japonaise à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, a rendu un service appréciable au Viêt Minh en 1945, en l’avertissant à l’avance du coup de force japonais du 9 mars contre les Français en Indochine.
Autre familier de nos réunions chambre 47, Nguyên Dinh Tu est membre d’un ancien parti pro-japonais et reporter au quotidien de langue vietnamienne Chinh Luân. Il écrit également de temps à autre pour le New Yorker. Homme de terrain, ses reportages sur l’exode qui a accompagné la débâcle de l’armée de Sài Gòn en avril 1975 nourrissent l’amertume à l’égard des dirigeants de Sài Gòn. Il se trouve à Pleiku, sur les Hauts-Plateaux du Sud, quand les communistes attaquent et que le président Nguyên Van Thiêu ordonne une retraite militaire, provoquant la panique parmi la population. Nguyên Dinh Tu participe à cet exode vers la côte, qu’il qualifie de « Convoi des larmes », et s’arrange pour confier ses dépêches à des pilotes d’hélicoptère. Il pourrait quitter le Viêt Nam avant la victoire communiste mais il ne le fait pas et sa mort est même rapportée : il serait décédé, fin 1975, dans la prison de Chi Hoa à Sài Gòn.
On le retrouve, toutefois, quatorze ans plus tard, dans un camp de boat people à Hong Kong. Il a alors soixante-six ans. Il déclare avoir été effectivement arrêté une semaine après la prise de Sài Gòn et accusé d’être « un espion de la CIA ». Il dit avoir été torturé, puis jeté en prison. Il ne sort de « rééducation » que treize ans plus tard, en 1988, pour se retrouver seul. « J’avais tout perdu – mes amis, ma maison, ma voiture et mon argent », déclare-t-il au quotidien londonien The Independent en décembre 1989. Et comme la police continue de le surveiller de près, « il n’y avait qu’une solution, Hong Kong », ajoute-t-il. Il se rend alors discrètement à Hai Phòng, le grand port du Nord, pour monter à bord de l’une de ces fragiles embarcations qui transportent les boat people vers l’ancienne colonie britannique. Alertée, la presse internationale fait campagne, avec succès, pour qu’il bénéficie du statut de réfugié et soit admis aux États-Unis.
Mais le personnage le plus proche de Pham Xuân Ân, avant la fin de la guerre, est, à n’en pas douter, Nguyên Hung Vuong. Dans la masse des journalistes que la seconde guerre d’Indochine, l’américaine, a attirés, Nguyên Hung Vuong fait figure à part. On l’aperçoit de temps à autre dans le hall d’entrée de l’hôtel Continental, comme perdu dans ses songes en attendant le vieil et lent ascenseur qu’il emprunte pour gagner la chambre de Robert Shaplen. Alors que Robert Shaplen parle haut et fort, Nguyên Hung Vuong, qui est son assistant, donne l’impression de vouloir passer inaperçu, de s’excuser de sa présence. Entre le discret et la vedette a dû se tisser une complicité fondée davantage sur l’amitié et l’estime que sur des convictions ou des appétits communs. Nguyên Hung Vuong est la bonne conscience ou le mauvais génie de Robert Shaplen. Difficile d’imaginer couple si disparate.
Nguyên Hung Vuong se montre d’une grande affabilité.
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