Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
sûrement rien. Une victoire sans héros ?
Au IV e Congrès du PC , en 1976, et au V e Congrès, en 1981, Pham Xuân Ân dit qu’il se trouvait « deux ou trois rangs » derrière feu Trân Van Tra. Mais les deux hommes ne se sont pas parlé. Encore plus étonnant, Pham Xuân Ân n’a rencontré Vo Nguyên Giáp que parce que Bui Tin en a pris l’initiative lors de ce V e Congrès, soit six ans après la victoire. En 1975, Bui Tin était un lieutenant-colonel des services de presse qui avait accompagné les premiers blindés nordistes à pénétrer dans les jardins du palais de l’Indépendance à Sài Gòn. Il avait rencontré Pham Xuân Ân après la victoire. Bui Tin, qui s’est exilé volontairement en France une dizaine d’années plus tard, appartenait alors à l’entourage de Vo Nguyên Giáp. Lors du Congrès de 1981, il avait pris Pham Xuân Ân par la main pour le présenter à Vo Nguyên Giáp.
« Je lui ai serré la main, il m’a invité à prendre une photo avec Bui Tin et je lui ai dit merci en le quittant », résume Pham Xuân Ân. Ils ne se sont jamais revus.
Pourtant, une coïncidence n’est peut-être pas fortuite. En 1968, les relations entre Vo Nguyên Giáp et le secrétaire général du PC , Lê Duân, se sont assez dégradées pour que le commandant en chef soit éloigné de Hà Nôi. On l’envoie se promener à l’étranger en compagnie de son épouse. Il ne semble pas avoir été l’architecte de l’offensive du Têt et encore moins des deux offensives, bien peu probantes, qui ont suivi en mai et en septembre. Les réticences de Pham Xuân Ân à l’égard de ces attaques – en particulier sa demande qu’on mette un terme à la pluie de roquettes sur Sài Gòn en mai – concernent des initiatives dont Vo Nguyên Giáp n’a peut-être pas été, pour une fois, l’inspirateur.
Une fois terminée la longue épreuve de la lutte pour l’indépendance, Pham Xuân Ân ne manifeste aucun goût pour les séminaires sur la guerre ou les réunions d’anciens combattants. Il ne revêt l’uniforme que lorsqu’il ne peut pas faire autrement. Il ne s’est rendu à Hà Nôi que quatre fois depuis 1975, parce qu’il n’y avait pas d’autre choix. Sa passion pour la stratégie demeure intacte mais il n’appartient à aucun clan au sein du Parti. Après 1975, m’a-t-il dit, il n’a rencontré qu’à deux reprises Lê Duc Tho, celui qui avait pourtant présidé la petite cérémonie à l’occasion de son admission au sein du PC au début des années 1950. Pham Xuân Ân n’a pas une mentalité d’ancien combattant.
J’ai l’impression – même si cela peut paraître étrange – que les deux hommes n’ont jamais vraiment cherché à se voir, à échanger des impressions. La page étant tournée, peut-être n’avaient-ils pas grand-chose à se raconter. Un manque d’affinité ? On ne peut l’exclure. Les Saigonnais reprochent à de nombreuses figures de Hà Nôi, Vo Nguyên Giáp compris, de n’avoir guère de considération pour le Sud. Les communistes originaires du Sud se sont empressés, après 1975, de rentrer chez eux au premier prétexte.
Le 30 avril 2005, à Sài Gòn, derrière de grosses lunettes noires et sous une casquette dont la large visière cache le visage, Vo Nguyên Giáp figure encore à la tribune du trentième défilé de la victoire, lequel s’est voulu peu martial car la direction communiste entend, tout en célébrant le fait d’armes, se projeter dans un futur pacifique. On ignore ce qu’en pense le vieux général couvert de gloire. Mais, en le regardant, je ne peux m’empêcher de songer à Pham Xuân Ân, qui a été si longtemps, pour ce grand capitaine, un visage inconnu mais un partenaire crucial et qui évoluait dans un univers que Vo Nguyên Giáp ne pouvait imaginer. Ce jour-là, affaibli par la maladie, Pham Xuân Ân est resté chez lui. J’ai le sentiment que, même s’il avait été bien portant, il en aurait fait tout autant.
Chapitre 1 0 L’Amérique, nostalgie d’étudiant
« Quel est votre avis ? » me demande-t-il un jour. Début 1997, soit près de vingt-deux ans après la fin de la guerre américaine, nous parlons de tout et de rien quand Pham Xuân Ân me pose la question. Il vient de recevoir une invitation de l’Asian Society. Participer à un colloque réunissant, à New York, les anciens correspondants de guerre américains les plus en vue. Ce type d’invitation devait,
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