Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
inévitablement, se présenter un jour. Voilà des années que des éditeurs américains courent après Pham Xuân Ân. Ils veulent publier ses mémoires, ou son histoire, et se heurtent, chaque fois, à un refus poli. Une invitation à, au moins, se produire au cours d’un séminaire ne peut que suivre.
Pour Pham Xuân Ân, ce serait l’occasion d’embrasser un bon nombre d’amis. Plusieurs prix Pulitzer, crème de la crème de la presse américaine, sont conviés. Pham Xuân Ân serait la vedette de la réunion. C’était inévitable après tant d’années d’absence au cours desquelles les questions n’ont fait que s’accumuler.
Je sais que ma réponse ne compte guère, quelle qu’elle soit. Mais comme il me le demande, je lui donne mon avis.
« Que vous soyez bien ou mal accueilli, que ces retrouvailles se déroulent avec ou sans anicroche – dans les deux cas de figure, vous aurez tort. »
Tel est mon sentiment. J’ai peur que trop de questions ne remontent à la surface s’il s’y rend : ses souvenirs, l’émotion, la publicité autour de sa visite, la nécessité de s’expliquer, le risque d’être acculé à se justifier. Sans parler de la suspicion du PC .
Pham Xuân Ân reste à Sài Gòn. Dans une lettre d’excuses, il n’en donne pas les raisons. Il exprime simplement le besoin de panser les blessures, mentales et physiques, de la guerre et le regret de ne pouvoir rencontrer les journalistes avec lesquels il a si longtemps travaillé. Quelques semaines plus tard, les organisateurs du colloque affirment, de leur côté, que Hà Nôi lui a refusé un visa de sortie. Mais l’a-t-il demandé ?
Ses amis et collègues américains ont été tout aussi surpris que les officiels en apprenant, en 1978, qu’il a été un espion de haut calibre. Mais ils ont pris la nouvelle avec davantage de philosophie. Certains se sont inévitablement demandé si les informations qu’ils avaient pu rapporter à Pham Xuân Ân, au retour d’un reportage sur le terrain ou lors d’un échange amical, avaient pu avoir une influence sur le cours des événements.
Quand le journaliste Morley Safer le revoit en 1989 pour la première fois depuis la fin de la guerre, il l’interroge sur le « mystère » qui plane encore à l’époque – pas moins de quatorze ans après la victoire communiste – sur ses activités. « Quelle est la vérité ? » lui demande-t-il. Pham Xuân Ân éclate de rire. Puis, il répond : « La vérité ? Quelle vérité ? Une vérité est que j’ai été correspondant de Time Magazine pendant dix ans et, auparavant, de l’agence Reuters. L’autre vérité est que j’ai rejoint le mouvement en 1945 et que, d’une façon ou d’une autre, j’en ai fait partie depuis. Deux vérités… deux vérités qui sont vraies. J’ai appris, ajoute-t-il, la loyauté à l’université aux États-Unis. Pour moi, d’une certaine façon, la loyauté est une idée entièrement américaine. »
Aux yeux de Stanley Karnow, prix Pulitzer et auteur d’un ouvrage de référence sur la guerre américaine, Pham Xuân Ân a été « déchiré entre deux loyautés ». « Sa loyauté, en ce qui concerne l’Amérique, était à l’égard de ses collègues ; vis-à-vis du Viêt Nam, sa loyauté concernait sa nation. Il pensait qu’il remplissait son devoir patriotique en étant un agent, mais nous étions ses amis et il avait une grande admiration pour les États-Unis ; je crois qu’il était une personne écartelée », a estimé Stanley Karnow une vingtaine d’années après la victoire communiste.
Ancien chef du bureau saigonnais de Time, Frank McCulloh a eu la réflexion suivante : « Si le schéma avait été inversé, si des centaines de milliers de Vietnamiens avaient occupé mon pays, j’aurais probablement agi de la même manière. À ma connaissance, il n’a jamais faussé ses reportages. » « Il reste un grand ami, que je respecte hautement », a-t-il ajouté. Morley Safer a estimé, en écho, que Pham Xuân Ân « a fait de son mieux pour agir selon sa conscience ».
Pham Xuân Ân, se rappelle Stanley Karnow, fredonnait la fameuse chanson de Josephine Baker, « J’ai deux amours, mon pays et Paris ». C’était une façon de répondre que ses deux amours, – le Viêt Nam et l’Amérique – n’étaient pas irréconciliables. Mais en était-il pour autant « déchiré » ? Il lui arrive d’avouer une « nostalgie » de son
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