Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
vietnamien, Pham Nguyên Ân prend volontiers l’inconnu par la main, ce qui ne l’empêche pas pour autant de le décrypter. Il peut faire preuve d’une grande tolérance à l’égard de ce qu’il considère comme de l’ignorance ou de l’incompréhension. La contrepartie : il est d’autant plus déçu quand le nouveau venu ne se montre pas à la hauteur de son attente.
Chargé d’analyser et de comprendre comment fonctionne le pouvoir américain, Pham Xuân Ân en saisit ce qui en fait la force. Il a été envoyé aux États-Unis pour apprendre, non pour prendre en grippe les Américains. À l’école, dit-il, il a étudié la littérature et l’histoire françaises, ainsi que des concepts nouveaux, « la patrie, l’État, la nation ». Aux États-Unis, il découvre « l’esprit pratique » des Américains, une société légaliste, au sein de laquelle l’enseignement et le travail développent l’esprit d’initiative et la discipline. Il mesure les forces et les faiblesses du système. Il s’y est fait des amis et s’en fera beaucoup d’autres, à son retour au Viêt Nam. La qualité de ses écrits suscite leur respect.
En septembre 1969, lorsque Hô Chí Minh meurt, la nécrologie de l’homme d’État qu’il rédige pour Time fait l’unanimité. Son regard sur les autres et son humanisme restent ceux d’un Vietnamien. Il n’y a pas, chez lui, dualité de caractère ou de comportement. À Sài Gòn, pendant la guerre, ses collègues anglo-américains le qualifiaient de « loup solitaire » parce qu’il travaillait de son côté, par souci de préserver à la fois ses sources et son travail d’espion et d’analyste pour Hà Nôi. « Dans une bande de loups, a-t-il répondu plus tard, il y a souvent un meneur intrépide. Mais, avec l’âge, il ne parvient plus à suivre la bande et doit se séparer d’elle pour survivre en chassant. »
Une boutade ? Certains de ses amis américains le trouvent énigmatique. Il est pourtant explicite quand il leur dit aujourd’hui qu’il a « compartimenté » sa vie car « le journaliste est en quête de la moindre nouvelle pour la publier alors que l’espion se prête au même exercice mais pour cacher ce qu’il a découvert ». Il a été contraint non seulement de cloisonner sa vie mais aussi de s’assurer constamment de l’étanchéité entre les compartiments.
Peu à peu, il a pris la véritable mesure de l’adversaire, le formidable complexe militaro-industriel américain qu’il avait désormais pénétré, en raison de la multiplicité de ses contacts avec ses opérateurs au Viêt Nam. Il a jaugé les forces et les faiblesses des services de renseignements américains. « Les Américains, résume-t-il, sont maîtres dans la collecte des renseignements, mais ils ne savent pas quoi en faire. » Il leur était très difficile de pénétrer les rangs du PC vietnamien, en raison de critères très stricts de recrutement. Pham Xuân Ân était, en revanche, la meilleure illustration du contraire : des milliers d’espions viêt côngs, de qualité ou d’intérêt inégaux, s’étaient infiltrés dans l’administration sudiste, jusqu’aux plus hauts échelons de l’État. Ainsi les communistes compensaient-ils certaines faiblesses face à cette machine à gouverner la planète qu’étaient devenus les États-Unis à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
La guerre du Viêt Nam s’est terminée, pour les Américains, sur l’image d’un ambassadeur, la bannière étoilée repliée sous le bras, à la fois épuisé, malade et hagard que l’on avait transporté, du toit de la chancellerie américaine à Sài Gòn, à bord d’un hélicoptère, jusqu’à l’un des bâtiments de la flotte américaine, qui croisait au large du Sud-Vietnam. On aurait pu difficilement imaginer conclusion si humiliante. Mais, si les États-Unis en ont été durablement secoués, leur suprématie n’a pas été remise en cause. Pham Xuân Ân a toujours été lucide à ce propos. Il manifeste un recul étonnant dans l’examen des ressorts de la puissance américaine. Mieux que d’autres, même aujourd’hui, il en saisit la manière de fonctionner et la portée des échecs ou des succès.
« On a dit que, si John F . Kennedy n’avait pas été assassiné en 1963, il ne se serait pas engagé au Viêt Nam. J’en doute. Tout chef d’État américain doit composer avec les groupes d’intérêt qui l’ont porté à la
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