Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
lui, dans la confortable mais relativement modeste villa qui lui a été attribuée en 1955 dans un quartier résidentiel de Hà Nôi. D’habitude, Vo Nguyên Giáp accueille ses visiteurs dans un pavillon, aménagé dans le jardin de sa demeure, qui abrite les bureaux de son cabinet et une salle de réception dont les murs sont couverts d’oriflammes, de banderoles, de trophées.
Son chef de cabinet accepte, toutefois, que la rencontre se déroule dans le salon du général, plus intime, dont les bibliothèques sont bourrées de livres. Vo Nguyên Giáp fait son apparition en uniforme. La démarche est peu assurée et la silhouette frêle. Il porte son âge, quatre-vingt-treize ans. Mais quand, une fois calé sur le canapé, il aborde l’explication de texte, le regard direct se fait plus intense et sa mémoire ne semble pas le trahir De temps à autre, il marque une pause pour rechercher un terme précis en français, une langue qu’il parle couramment mais qu’il n’a guère l’occasion de pratiquer.
Avant la Deuxième Guerre mondiale, il avait enseigné l’histoire à Hà Nôi, au lycée Thang Long, creuset de militants anticolonialistes. Ses élèves l’avaient surnommé « le général » ou « Napoléon ». Si Vo Nguyên Giáp s’est nourri des stratèges vietnamiens qui, au fil des siècles, ont infligé de cinglantes défaites aux envahisseurs chinois, il a aussi étudié dans le détail les campagnes de Napoléon Bonaparte.
« Pourquoi ?
— Le retour de l’île d’Elbe, c’est formidable ! » s’exclame-t-il, après avoir observé une pause.
On aurait pu s’attendre à tout sauf à cette réflexion sur cet épisode au cours duquel les troupes royales dépêchées par Louis XVIII pour barrer la route à l’empereur se rallient à ce dernier. « L’autorité personnelle », explique Vo Nguyên Giáp, sans hésiter. Le clin d’œil aux rapports que Vo Nguyên Giáp a établis avec ses propres lieutenants et la troupe est clair : le commandement est une affaire d’autorité absolue.
Le voilà lancé. Quand il entend le général Henri Navarre, commandant du corps expéditionnaire français, affirmer à la radio que « la marée offensive du Viêt Minh est étale » – une phrase qu’il répète avec délectation –, il déclenche l’offensive contre Diên Biên Phu, qu’il avait reportée de plusieurs semaines. « Quand nous avons attaqué le 13 mars 1954, Henri Navarre a été complètement surpris. » L’« effet de surprise », élément clé de la tactique de Napoléon Bonaparte.
« Pendant la campagne d’Italie, Napoléon Bonaparte a dit : “Là où une chèvre passe, un homme peut passer ; là où un homme passe, un bataillon peut passer” », poursuit Vo Nguyên Giáp, visiblement admiratif. Dans les montagnes du Viêt Nam, là où un porteur se faufile, dix mille porteurs peuvent-ils en faire autant ? Là où une bicyclette passe, des canons d’artillerie peuvent-ils être transportés ? Le général vietnamien songe à ses vingt mille vélos et aux canons démontés, hissés à bras d’homme en haut des collines qui surplombent la « cuvette » de Diên Biên Phu. Il sourit. Au prix d’efforts surhumains et d’une étonnante ingéniosité, le matériel est parvenu à destination au-dessus du camp retranché français.
Il me demande une feuille de papier blanche et un stylo. D’un trait ferme et précis, il trace la carte du Viêt Nam, avec sa côte en forme de « S ». Il pointe alors le stylo sur la rade de Dà Nang, dans le centre du pays, qu’il appelle « Tourane », le nom que lui avaient donné les Français. En avril 1975, au cours de la dernière offensive victorieuse, cette rade et son complexe aéroportuaire sont encerclés par les divisions nord-vietnamiennes.
« Nguyên Van Thiêu, rapporte Vo Nguyên Giáp, a donné l’ordre au commandant local, le général Ngô Quang Truong, de tenir “jusqu’à la mort”. Je donne l’ordre à la 312 e division d’attaquer Dà Nang. Son chef me répond : “L’ennemi est assez fort, je vous demande sept jours.” Je lui dis : “Je prévois que Ngô Quang Truong va se retirer par la mer ; combien de temps lui faut-il ?” – “Au moins trois jours”, finit par lui annoncer le commandant de la 312 e division. “Alors, je vous donne trois jours pour prendre Dà Nang.” Ordre est donné aux troupes de se déplacer en plein jour, de descendre la RN
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