Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
Nguyên Giáp s’est nourri des informations et des analyses que lui adresse un correspondant anonyme, à l’autre extrémité d’une longue ligne de relais qui doivent faire passer, coûte que coûte, des messages à coder et décoder. Pendant la guerre, pour des raisons de sécurité, l’anonymat ne peut être transgressé.
« Vo Nguyên Giáp, poursuit Pham Xuân Ân, n’a jamais demandé qui envoyait les renseignements » dont Hà Nôi a été abreuvé. Des années auparavant, ajoute-t-il, « on m’avait prévenu que Hô Chí Minh avait exigé de prendre directement connaissance des rapports envoyés par cet agent ». « Il a dit que je ne copiais pas, que j’étais sincère. » Le vieux révolutionnaire avait donc repéré « cet agent », sans s’enquérir de qui il s’agissait. Peut-être connaissait-il son numéro de code, X 6, ce qui n’est même pas sûr.
La règle draconienne du secret ne s’impose plus la guerre une fois finie. Un esprit occidental imaginerait volontiers que ces acteurs n’attendaient que cette occasion pour faire connaissance, se donner l’accolade, trinquer ensemble, échanger des idées. L’univers communiste vietnamien ne fonctionne pas de cette façon-là, au moins dans les premières années qui ont suivi la victoire. La méfiance règne. La peur et la quête de la survie invitent à la dissimulation. Chacun se sent surveillé, chacun se protège. Personne ne prend d’initiative. Les héros de la guerre en sont les premières victimes. Un exemple révélateur des manœuvres dont le PC a été le théâtre, pendant au moins deux décennies, a été récemment fourni par le major général Nguyên Nam Khanh.
Dans une lettre confidentielle adressée au Bureau politique le 7 juin 2004, mais qui circulera sur l’internet six semaines plus tard, cet officier a dénoncé les exactions – « calomnies, intimidations, tortures, assassinats » – commises pendant vingt ans par le DG 2 ou Département général n o 2, un bureau militaire de renseignements placé « sous le contrôle exclusif et direct du PC » et qui échappe donc à celui du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Il a accusé le DG 2 d’avoir insinué que de nombreuses personnalités communistes entretenaient des liens avec la CIA .
La liste comprend les noms de plusieurs éminences, passées ou actuelles, du PC . Le général Vo Nguyên Giáp semble avoir constitué une cible privilégiée du DG 2 pour avoir tenté, à la veille du VII e Congrès du PC en 1991, de reprendre de l’influence au sein du Parti. Il a alors été victime d’une campagne de calomnies sous forme de témoignages d’un agent fictif du DG 2. En 1996, au lendemain du VIII e Congrès du PC , le Bulletin de nouvelles publié par le DG 2 a rapporté que « la CIA avait ordonné au “Groupe Z ” (la faction dirigée par Vo Nguyên Giáp) de se mobiliser pour appuyer ses vues et ses idées ; il devait utiliser “les pensées de Hô Chí Minh” pour rejeter le marxisme-léninisme, séparer les deux idéologies et utiliser les pensées de Hô Chí Minh comme base pour lancer un mouvement en faveur de la “démocratie populaire” ». Nguyên Nam Khanh affirme également, dans sa lettre, que les agents du DG 2 non seulement s’infiltrent partout et utilisent tous les moyens pour fomenter des divisions au sein du PC , mais entretiennent également des relations avec la mafia.
Aujourd’hui retraité, Nguyên Nam Khanh n’est pas n’importe qui : il a dirigé l’Institut politique de l’Armée populaire à Hà Nôi avant d’être promu chef de région militaire, puis secrétaire général de l’influent Département politique de l’armée. Il a été élu membre du Comité central du PC et de son Comité militaire. Il est revenu depuis à la charge. Ce qu’il rapporte en dit long non seulement sur les méthodes du PC , mais aussi sur l’absence de recours, de contrepoids, de garde-fous au sein de l’appareil. Une atmosphère empoisonnée explique sans doute bien des réserves et des prudences. La réunification a été bâclée en 1976, ce qui a suscité de graves désillusions dans le Sud, y compris parmi les communistes. Vo Nguyên Giáp et Trân Van Tra sont rapidement mis sur la touche. La collectivisation conduit l’économie au bord de la ruine. L’occupation militaire du Cambodge, entreprise fin 1978, et la riposte militaire chinoise, l’année suivante, n’arrangent
Weitere Kostenlose Bücher