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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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cruelle et
rusée que suggère la version de Gray, on pouvait s’attendre à ce calme. Mais si
elle n’est qu’une femme au foyer trompée et horrifiée, comme le sous-entend son
récit, son aplomb est des plus surprenants. »
     
    Le témoignage complet de Ruth prit trois jours et produisit
trois cent quarante-cinq pages de notes sténographiées, en incluant le
contre-interrogatoire que lui firent subir tant les avocats de Judd que le
ministère public. Elle resta impassible et apparemment détendue, jouant avec
son chapelet en sautoir ou secouant la tête quand elle formulait une réponse
négative, mais par ailleurs maîtresse d’elle-même, voire gracieuse face aux
vives objections et aux tentatives d’intimidation des hommes de loi.
    Elle rétracta formellement des pages entières de ses aveux
du 21 mars. Elle prétendit qu’elle avait dissimulé le contrepoids au
sous-sol parce qu’elle « ne voulait pas l’avoir sous les yeux ». Elle
ne l’avait pas jeté, parce qu’elle « estimait devoir le restituer à
Mr Gray », puisque c’était lui qui le lui avait donné. Elle n’avait
pas averti son époux du danger, car elle « pensait pouvoir dissuader Judd
Gray ». Elle avait laissé la porte de la cuisine ouverte le samedi soir,
parce qu’elle avait « l’intention de prévenir Judd que je ne voulais plus
avoir affaire à lui ».
    Elle se révéla confuse ou évasive quant aux contrats
d’assurance qu’elle avait souscrits, mais sourit quand il fut établi qu’elle
avait réglé les primes en se servant d’un compte joint qu’Albert aurait pu
consulter à n’importe quel moment. Elle nia avoir tenté d’empoisonner ou
d’asphyxier son mari. Elle nia avoir comploté de l’assassiner. Elle était
simplement entrée dans la chambre de sa mère pour raisonner Judd Gray, ce samedi-là.
    Un magistrat du ministère public la questionna :
    « Et sa première réaction a été de vous
embrasser ?
    — Oui.
    — Et vous, vous l’avez embrassé ?
    — Oui.
    — Sachant, ou supposant, quel que soit le terme que
vous préférez, qu’il était là pour tuer votre époux ?
    — Oui.
    — Et sachant ou supposant qu’il était venu chez vous
pour tuer votre époux, vous êtes descendue vous asseoir sur un canapé avec lui
pour discuter ?
    — Oui. »
    Quand elle avait abandonné Gray pour monter aux toilettes,
affirmait-elle, le pistolet de son mari était sur le piano. Et même depuis
l’autre bout du couloir, derrière la porte close de la salle de bains, elle
avait entendu « un coup terrible » quand Judd avait frappé Albert,
quoique sans lui fracturer le crâne. Elle n’avait, elle, ni matraqué son mari
avec le contrepoids, ni versé du chloroforme sur l’oreiller, ni garrotté Albert
avec du fil de fer et le porte-mine de Judd. Et quand elle avait recouvré ses
sens après son évanouissement et constaté ce qui s’était passé, elle avait
« été trop effrayée pour crier ».
    « Avez-vous apporté des soins à votre mari ?
    — Non.
    — Vous n’avez procédé à aucun examen pour déterminer si
votre mari était mort ou vif ? »
    Brûlant de mépris pour le magistrat, elle répliqua avec
froideur :
    « Non, je n’en savais rien.
    — Combien de temps êtes-vous restée dans la pièce
attenante avec Gray ?
    — Une ou deux heures.
    — Et vous lui avez donné votre chemise de nuit et votre
robe de chambre pour qu’il les brûle ?
    — Oui.
    — Vous avez retiré votre chemise de nuit en sa
présence ?
    — Oui.
    — Et vous êtes allée chercher d’autres vêtements,
n’est-ce pas ?
    — Oui.
    — Vous êtes retournée dans la chambre où gisait votre
mari, mort ou agonisant, pour ça ?
    — Oui.
    — Et vous ne l’avez malgré tout pas regardé ?
    — Non.
    — Vous ne l’avez pas touché ?
    — Non.
    — Mais vous en aviez pourtant la possibilité ?
    — Oui. »
    Elle n’avait plus le sentiment de jouer un rôle ou d’usurper
une identité ; elle était son personnage. Lorsqu’elle parcourait du
regard, par-delà les avocats et les jurés, cette foule immense d’inconnus
électrisés, elle avait l’impression d’être une grande dame du théâtre
accordant quelques heures de sa célébrité à un public reconnaissant. Sa voix
avait parfois quelque chose d’irrité, elle dardait souvent des regards furieux
et elle fut forcée d’admettre qu’elle avait menti à tous ceux à qui elle avait
parlé le dimanche

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