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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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ne crois pas », répondit-elle, sur la
défensive.
    Judd ouvrit le tiroir de la table de chevet, en quête de la
Bible fournie à l’hôtel par l’association évangélique des Gédéons.
    « C’est dans l’Ancien Testament, précisa-t-il.
    — Dans ce cas, certainement pas. »
    Il feuilleta les pages.
    « C’est juste après le Livre des Juges, continua-t-il,
en cherchant encore un peu. Là. Chapitre 1, versets 16 et 17 :
“Mais Ruth dit : ‘Ne me presse pas de t’abandonner, de retourner loin de
toi ; car où tu iras j’irai, et où tu passeras la nuit je la
passerai ; ton peuple sera mon peuple et ton dieu mon dieu : où tu
mourras je mourrai, et là je serai enterrée. Le SEIGNEUR me fasse ainsi et plus encore si ce n’est pas la mort qui nous sépare.’”
    — Oh, ce que c’est beau », se récria Ruth, comme
si elle n’en pensait rien.
    Elle se leva et fit la révérence pour ramasser ses habits par
terre.
    « Lorraine nous attend, reprit-elle.
    — Il y a quelque chose qui ne va pas ? »
    Elle le transperça d’un regard farouche.
    « “Ne me presse pas”.
    — Je n’ai aucune idée de ce que tu me reproches,
Ruth. »
    Elle enfila ses sous-vêtements, écumante de colère.
    « Tu ne me prends pas au sérieux, voilà ce qu’il y a.
“Où tu mourras je mourrai” ? Mais je me meurs, mon mignon ! Et tu
regardes sans rien faire. Parce que tu es cossard et mollasson et que c’est
plus facile ainsi. Tout ce que tu te dis, c’est que tu es foutrement ravi de
profiter de mon cœur à l’envers de façon régulière. »
    Judd écrasa sa cigarette et descendit du lit pour s’habiller
à son tour.
    « Et concrètement, qu’est-ce que je suis censé
faire ?
    — Albert ! Nous en débarrasser ! Tu
piges ? »
     
    À bord de l’ascenseur, lorsque l’aiguille indiquant les
étages s’arrêta sur le huit et que le vieux liftier en veste bleue fit
coulisser les portes, Lorraine eut la surprise et le plaisir de découvrir
devant elle sa mère et Mr Gray, même si ce dernier avait la mine chagrine.
    « Salut ! » s’exclama-t-elle.
    Ruth eut un sourire.
    « Tu t’es bien amusée, bébé ?
    — Elle m’a tenu compagnie, commenta le liftier. On n’a
pas arrêté de faire le yoyo.
    — Nous aussi », grinça Judd.
     
    Ce printemps-là, Ruth eut des ennuis de santé. Elle alla
consulter le Dr Harry Hansen, un médecin de famille du quartier, et se
plaignit de souffrir d’évanouissements, de fortes palpitations intermittentes
suivies de douleurs lancinantes, de gonflements épisodiques du cou qui lui
donnaient l’impression qu’on l’étranglait, de règles de moins en moins
abondantes et d’horribles accès de dépression ou de mélancolie qui la rendaient
irascible ou la faisaient fondre en larmes. L’examen du Dr Hansen révéla
une insuffisance cardiaque, une hyperthyroïdie et une anémie généralisée, mais
le médecin omit de diagnostiquer ces symptômes comme les premiers de la maladie
de Basedow. Il lui prescrivit du fer, des comprimés d’iode et une boîte de
Midol, un médicament contre les douleurs menstruelles. Comme il lui tournait le
dos pour qu’elle se rhabillât, il entendit Ruth exposer :
    « J’ai aussi d’étranges pressentiments funèbres, comme
s’il allait advenir quelque chose de tragique.
    — Oh, ça ne fait aucun doute, répliqua le médecin. Nous
mourrons tous un jour. »
    Travailler le samedi était alors la norme pour les employés
de bureau, même à des postes élevés, et Ruth et sa fille retrouvaient
fréquemment Judd au Henry’s vers une heure, avant d’aller en sa compagnie aux
Ziegfeld Follies, au théâtre pour enfants ou à une matinée au cinéma. Mais une
après-midi où le bébé était resté avec son père, Ruth insista pour effectuer
avec Judd le trajet en tramway jusqu’à East Orange et se cramponna à sa main en
pouffant d’excitation à l’idée qu’un de ses amis ou voisins pût monter en cours
de route et reconnaître en elle « l’autre femme », même si, à son
arrêt, elle se borna à l’embrasser avant de repartir en direction de New York.
    Et une nuit en avril, à sept heures, alors qu’il faisait
encore jour, quand Judd arriva devant sa porte, il se sentit observé et aperçut
Ruth, lugubrement vêtue de noir, telle une veuve, plus loin dans Wayne Avenue,
qui épiait sa routine du soir. Judd voulut la rejoindre, mais Ruth se détourna
et s’éloigna.
     
    En tant que

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