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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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membre de l’Elks Club d’Orange, Judd avait aussi
accès à la loge de la fraternité dans le centre de Syracuse, et un jour, à
l’issue de ses rendez-vous de la matinée, il invita Haddon Jones, un ancien
camarade du lycée Bannister, à y déjeuner. Haddon était un grand gaillard
maigre comme un clou, aux cheveux brillantinés et aux oreilles chevalines, avec
une moustache fine comme un trait de crayon. Il était courtier en assurances et
en immobilier pour Hills & Co et il s’en tirait, comme il disait,
« pas trop mal, merci, les affaires boument ». Ils prirent place au
bar de la loge et Judd commanda :
    « Deux whiskys médicinaux, docteur.
    — Je ne suis pas docteur, riposta le barman avec
dédain.
    — Je me suis mépris : vous êtes un pharmacien avec
un inventaire limité ! rectifia Judd.
    — On dirait que tu as de l’avance sur moi, constata
Haddon avec un sourire.
    — Ma flasque était déjà vide à onze heures.
    — On noie son chagrin ?
    — Tout le contraire, mon bon. J’exalte. Pardon,
j’exulte. J’ai une amante d’une grande beauté, qui n’est pas mon épouse, mais
dont qui je suis le conjoint. Sans la bénédiction de Dieu ni de l’État, note
bien, nuança-t-il, avant de se tapoter le front. Mais mentalement. Je t’ai
montré sa photo ?
    — C’est la première fois que j’entends parler
d’elle. »
    Judd extirpa avec difficulté son portefeuille de son
pantalon et l’ouvrit à deux mains sur le comptoir. Puis il attrapa
méticuleusement, entre le pouce et l’index, un cliché de Ruth, qu’il déposa à
côté du verre de Haddon.
    « Je ne te dirai pas son nom, car aux yeux de la loi,
elle est déjà prise. Mais j’aimerais avoir ton oignon – pardon, ton
opinion – la plus sincère, afin de déterminer si tu as besoin de te faire
soigner des œils. »
    Haddon leva la photographie et pivota sur son tabouret pour
jouir d’une meilleure lumière.
    « Elle est très belle.
    — Très belle, oui. Une appréciation tout à fait juste.
Mais ton avis est trop modéré, car tu n’as pas assez ingurgité d’élixir du
poète. Et je dois être honnête : le cliché ne lui rend pas justice. C’est
une déesse !
    — Vous autres représentants ! Ça doit défiler,
hein ? »
    Judd secoua la tête et agita l’index.
    « C’est là que vous vous trompez, sieur Haddon. C’est
elle qui me fait marcher au pas. »
     
    Ruth préchauffa son four et fit cuire à feu doux une tasse de
pruneaux dénoyautés dans une casserole, jusqu’à ce qu’ils fussent ramollis.
Mrs Brown, en uniforme blanc d’infirmière, s’apprêtait à partir pour une
garde de nuit à cinq dollars chez une vieille dame qui s’était cassé le col du
fémur.
    « Tu prépares une mousse aux pruneaux ?
s’étonna-t-elle, en fronçant les sourcils à la vue des ingrédients sur le plan
de travail.
    — Oui.
    — Mais tu n’aimes pas les pruneaux. Et Lora n’en mange
pas.
    — Mais Albert, si. »
    Josephine boutonna le col de sa cape marron.
    « Ne compte pas trop sur un merci de sa part… »,
avertit-elle sa fille, avant de sortir par la porte de la cuisine.
    Ruth réduisit les pruneaux en purée dans la casserole et les
additionna d’un tiers de sucre, qu’elle mélangea à l’aide d’un batteur à œufs.
Elle ajouta une cuillère à café de jus de citron, une autre de vanille, puis,
dans un autre saladier, battit six blancs d’œufs auxquels elle ajouta un peu de
crème de tartre, avant d’achever de les monter en neige. Elle alla jusqu’à son
sac à main sur la table de la cuisine et en tira un sachet de poudre grise.
Elle en saupoudra les blancs d’un tour de main, les empoisonnant, incorpora la
purée de pruneaux et versa le mélange dans un plat beurré et sucré. Elle laissa
cuire une quarantaine de minutes, réfrigéra et, ce soir-là, après le dîner,
servit le dessert à Albert, avec de la crème fouettée.
     
    Elle confessa son geste le lendemain après-midi, au Henry’s.
Elle raconta à Judd que Son Excellence et elle avaient eu une affreuse dispute
et qu’il l’avait mise dans une telle fureur qu’elle l’avait empoisonné.
    « Ce n’est pas vrai ! » se récria Judd, d’une
voix étouffée.
    De la tête, elle confirma que si, tandis que des larmes
brûlantes dévalaient ses joues.
    « Et Albert ?
    — Oh, il a seulement vomi toute la nuit, déclara-t-elle,
avec désinvolture.
    — Mais qu’est-ce qui t’a pris de faire une

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