Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
Vom Netzwerk:
chose
pareille ? »
    Elle haussa les épaules et hoqueta :
    « Je voulais voir quel effet ça aurait sur lui.
    — Comment t’es-tu procuré le poison ? »
    Elle reprit son souffle et répondit :
    « Ce n’était qu’une grosse dose de médicament de chez
Spindler.
    — Ça aurait quand même été un meurtre ! »
    Bientôt, la serviette de table en tissu ne suffit plus pour
étancher les larmes de Ruth. Le personnel du restaurant leur jetait des coups
d’œil réprobateurs en se faisant des messes basses. Harry Folsom, qui mangeait
seul en remplissant un bon de commande, à l’autre bout de la salle, entendit
Judd hausser la voix et leur jeta un coup d’œil renfrogné.
    « Ne me crie pas dessus, protesta Ruth. Je n’essayais
pas de le tuer. J’étais simplement en colère, exaspérée. C’était une sorte
d’expérience. »
    Judd se renversa en arrière dans le box et dévisagea Ruth,
absolument consterné.
    « Eh bien, je trouve ton expérience détestable. Ce
genre d’acte dément, irréfléchi – ça dépasse les bornes.
    — Mais je le hais. Je n’éprouve plus pour lui ni amour,
ni amitié ni intérêt. Il me traite soit comme une bonniche, soit comme une
catin. »
    Elle s’interrompit et son visage se métamorphosa – ce
fut comme si Judd venait de tourner la page d’un livre, ou plutôt, comme s’il
était passé d’un livre à un autre, car elle le foudroya du regard avec une
férocité qu’il ne lui connaissait pas, se leva de table en empoignant par le
col son manteau en rat musqué et lança d’un ton si venimeux qu’on aurait dit un
sifflement :
    « Mais je crois que je me suis trompée sur toi. Je
crois que tu n’es qu’un lâche et une chochotte. Tu refuses de m’aider ou de me
défendre parce que Albert est un homme, un vrai, et toi, tu n’es qu’un sale faux-jeton
servile qui veut bien prendre son pied avec moi, mais rien de plus. »
    Judd en fut si blessé et abasourdi qu’il demeura bouche bée,
pendant que Ruth se détournait et fonçait vers la sortie. Il se levait pour se
précipiter à ses trousses quand elle se figea, une main tendue vers la porte,
et parut s’affaisser sur elle-même. Elle tomba à genoux, évanouie, avant que
Judd pût la rejoindre. Tiraillé par des émotions contradictoires, il
s’accroupit auprès de Ruth, inconsciente sur le sol, le visage revêtu de
l’innocence d’un enfant endormi.
    Serveurs et curieux s’agglutinèrent autour d’eux, tandis que
Judd tapotait la joue de sa compagne en murmurant :
    « Ruth. Ruth, réveille-toi. »
    Harry Folsom préleva au milieu du buffet Scandinave une
poignée de glace pilée, qu’il enveloppa dans une serviette mouillée et appliqua
sur le front de Ruth. Elle sembla peu à peu recouvrer ses esprits, ses yeux
papillotèrent, se fixèrent sur Judd et elle sourit.
    « Bonjour, toi, fit-elle.
    — Tu as perdu connaissance. Tu m’as dit des choses
blessantes. »
    Elle l’ignora et reprit :
    « Salut, Harry.
    — Salut, Tommy. Ça va ? »
    Elle considéra tous ces inconnus qui l’entouraient.
    « J’ai l’impression d’être une célébrité. »
    Harry Folsom sourit.
    « Eh bien, peut-être que c’est ta destinée, ma
belle. »
    Dans ses mémoires, Judd écrivit plus tard :
    « Quant à la situation chez moi, nous avions atteint ce
stade qu’atteignent tant de couples mariés. Nous nous laissions porter par le
courant. Mon écrasant sentiment de culpabilité me tenait éveillé nuit après
nuit, à m’évertuer à résoudre le problème, jusqu’à ce que l’épuisement ait
raison de moi ; à me jurer de mettre un terme à tout ça. Je n’avais pas
conscience d’être intoxiqué à ce point par cet amour obsessionnel qui, en fin
de compte, allait refermer sur moi son étreinte mortelle. »
    Ruth savait que Judd l’idolâtrait, et elle aimait ce côté
obsessionnel. Mais elle aimait encore plus exercer son pouvoir sur lui –
une autorité et un empire grisants dont elle n’avait jamais fait l’expérience
ni à l’école, ni au travail, ni avec Albert, ni même avec Lorraine. Elle
chatouillait doucement le torse nu de Judd avec une plume de faisan, jusqu’à ce
qu’il se tordît de rire et d’excitation, puis le déroutait en lui assénant une
claque violente. Elle l’embrassait avec la plus grande tendresse, puis lui
crachait abruptement dans la bouche. Elle l’accablait d’insultes cruelles
pendant leurs rapports afin qu’il redoublât

Weitere Kostenlose Bücher