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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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des sanglots qui lui nouaient la gorge.
     
    Il lança presque comme un cri :
     
    - C'était mon père.
     
    La vieille comtesse, étonnée par cette violence dont elle devina sans peine la cause, eut un geste de recul aussitôt maîtrisé. Et comme Jean-Louis évitait son regard, sans un mot elle se leva et quitta le salon dont elle ferma doucement la porte, comme si l'homme qu'elle y laissait eût été un malade endormi.
     
    Ce n'est que tard dans la soirée, après avoir pris un bain et dîné confortablement, servi par un maître d'hôtel souriant et muet, que Jean-Louis se décida, par la Via Stalloreggi, à marcher jusqu'à la Via di Cittá où se trouvait le palazzo des Batesti.
     
    À cette heure-là, les rues de Sienne étaient livrées aux promeneurs du soir. Les rares automobiles et scooters qui les parcouraient cédaient la place aux piétons, qui, hors des heures de travail de la journée, retrouvaient une priorité sur les véhicules. Dès le dîner, les conducteurs sentaient bien que leur présence et celle de leur machine à deux ou quatre roues était simplement tolérée et que le moteur ne donnait droit à aucune revendication de passage. Il eût, par exemple, été mal venu de presser le mouvement piétonnier d'un coup d'avertisseur. Il fallait y mettre de la patience.
     
    Sienne se rappelait qu'elle était une cité médiévale. L'air était léger et le marchand de cigarettes lui dit en le raccompagnant sur le seuil de sa boutique une phrase qui devait signifier qu'il commençait à faire bon se promener le soir et dans laquelle il ne comprit qu'un seul mot : «primavera ».
     
    Le palais des Batesti ressemblait aux autres palais siennois. Il était haut et étroit, avec une somptueuse entrée romane fermée par un portail de bois planté d'énormes clous à tête pyramidale. Il n'était pas de brique, comme les maisons ordinaires de la ville, mais de pierres taillées énormes, aux arêtes arrondies, aux surfaces profondément martelées. Les fenêtres à colonnettes gothiques avec un arc de décharge mettaient seules un peu de grâce à la façade austère, qui ne pouvait laisser prévoir, tant sa puissance paraissait insensible au passage des siècles, le délabrement annoncé à l'intérieur.
     
    Autrefois, il avait dû posséder une tour carrée comme tous les autres palais de la ville, tour que Charles-Quint avait fait raser sans la moindre considération.
     
    Un long moment, Jean-Louis, adossé au mur d'en face, observa cette maison enfoncée dans un silence massif. Si deux fenêtres au premier étage n'avaient pas laissé deviner une lointaine lumière intérieure, on aurait pu la prendre pour une demeure abandonnée, dont on avait sauvegardé l'extérieur par souci esthétique.
     
    Il essayait d'imaginer son père pénétrant sous cette voûte, venant y rejoindre une jeune fille née dans l'ombre de ces pierres énormes. Cette façade dure, presque sans ouvertures, n'avait jamais dû laisser transparaître aucun des événements qui marquèrent la vie des habitants.
     
    Là, derrière ces pierres, on s'était aimés, on était morts sans que rien ne parvienne dans la ruelle, ni un soupir ni un râle. L'immuable puissance de la construction pouvait tout dissimuler des joies et des maux, des fastes et des pauvretés. De lourds anneaux de fer rouillé, battant depuis des siècles la pierre dure et sculptant des creux profonds en forme de croissant, attirèrent l'attention du jeune homme. Il traversa la chaussée pour s'approcher de l'un d'eux.
     
    C'est à ces anneaux que les cavaliers attachaient autrefois leurs chevaux. Jean-Louis en saisit un. Le fer était lisse et poli, un motif compliqué, scellé dans la pierre, le retenait. Jean-Louis craqua une allumette et découvrit à la lueur de la flamme les armes des Batesti, un lion héraldique accroupi au pied d'une tour, et la brève devise : « Sempre fidele, sempre libere », gravée dans l'anneau.
     
    Comme l'allumette achevait de se consumer, une automobile s'arrêta devant le portail. Une jeune fille en descendit. Dans la pénombre de la rue, Jean-Louis vit seulement qu'elle portait de longs cheveux, paraissait frêle et serrait sous son bras une grosse pile de livres.
     
    – A rivederci, cria-t-elle au conducteur qui avait déjà démarré tandis qu'elle poussait l'énorme vantail.
     
    Une fois qu'elle eut disparu par l'entrebâillement, Jean-Louis entendit tirer des verrous. Il pensa qu'il venait peut-être

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