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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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après avoir été de farouches opposants aux gouvernements de Sienne – ils faisaient partie de ces seigneurs qui vivaient retranchés dans leurs châteaux du Monte Amiata comme les Pannochieschi, les Aldobrandeschi de Santa Fiora - furent comme les autres féodaux amenés à reconnaître la suzeraineté de la commune et s'engagèrent à vivre à Sienne. Au XII e siècle, ils firent construire le palais qu'ils habitent toujours Via di Cittá et participèrent à la formation de cette aristocratie siennoise, qui devait donner à la chrétienté un pape : Pie II, Enea Silvio Piccolomini. Tandis qu'un aïeul de la comtesse devenait capitaine de Justice, un Batesti était promu conseiller financier de Pie II, un autre entrait dans le gouvernement de la commune.
     
    - Aujourd'hui, dit la comtesse, il n'y a plus de véritable aristocratie à Sienne. Les terres ne rapportent plus assez. Les paysans préfèrent aller travailler dans les usines, près des villes, les fils de famille doivent entrer dans les affaires, devenir médecin ou professeur. Quand j'étais petite, il y avait un club aristocratique à la Loggia della Mercanzia, même les gradés de l'université n'y avaient pas accès. Il fallait être d'une des grandes familles de la cité, ayant encore son blason et son palais et vivant du revenu de ses terres. Maintenant, ajouta-t-elle avec une moue de mépris, on y reçoit même des industriels et des négociants. La fortune amassée dans les affaires, le savoir acquis à l'université tiennent lieu de naissance et de nom. Ni les Batesti ni moi-même ne fréquentons plus ce club.
     
    » Et puis, je dois vous le dire, monsieur, les aristocrates sont pauvres. Ils vivent difficilement dans leurs palais mal entretenus, quand ils ne sont pas obligés de les vendre aux grandes banques – ce qui est encore une garantie de conservation – ou aux Américains snobs, comme les Montellini ont dû le faire pour leur tour de San Gimignano.
     
    » Mais je dois dire que les Batesti ont su garder leur dignité et leur orgueil. Le chef de la maison, c'est actuellement Carlo. Son père et sa sœur sont morts en 1925, des suites d'un terrible accident. Ils étaient déjà pauvres et le père de Carlo refusait tout travail, même celui honorifique de bibliothécaire de l'université qui lui aurait rapporté de quoi vivre. Il n'avait pu faire réparer le vieil escalier de bois qui reliait le deuxième et le troisième étage du palais.
     
    » Un soir, comme il montait avec Anna pour tenter de colmater une gouttière dans les combles, le vieil escalier s'est effondré. Ils sont tombés. Le père est mort quelques minutes après. Anna a survécu, mais elle avait la colonne vertébrale brisée. Les meilleurs professeurs de la Faculté n'ont pu la sauver.
     
    Jean-Louis, atterré par le récit de ce drame dont son père avait dû vivre les tourments, n'écoutait plus le bavardage de la comtesse. Le destin d'Anna était grand, unique. Louis Malterre n'avait pas connu un amour banal.
     
    – Je crois que je peux vous confier un épisode touchant qui reste dans la belle tradition siennoise, violente, tendre, tragique. Quelques mois avant que l'escalier du Palazzo Batesti ne s'effondre, Anna avait fait la connaissance d'un de vos compatriotes qui voulait l'épouser. Alfredo Batesti, son père, par orgueil – parce qu'il estimait que sa fille, une Batesti dont les ancêtres avaient, aux côtés des Florentins, porté les armes contre le maréchal de Montluc, ne pouvait épouser un Français - refusa son consentement.
     
    » Quand la catastrophe arriva – et la voix de la comtesse se fit plus basse, comme si le renoncement de Batesti était un peu celui de l'orgueil aristocratique vaincu par la pauvreté et la mort -, Alfredo Batesti eut le temps de souffler à Carlo : "Anna peut épouser le Français."
     
    » On raconta alors, poursuivit la comtesse, que Carlo prévint le jeune étranger que sa demande était finalement acceptée et qu'il devait venir vite. La grandeur de ce Français ajouta encore à notre chagrin ; il épousa Anna sur son lit de mort et lui donna avec le baiser de l'époux celui de l'adieu. Je ne sais plus le nom du Français, mais il est gravé sur le monument qu'il fit élever à Anna, au cimetière.
     
    Il y eut un silence lourd. Au-dessus du jardin, que l'on apercevait par-delà les fenêtres du salon, le ciel prenait des couleurs rosées d'opaline. Jean-Louis réussit à triompher dans un effort surhumain

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