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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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lieux à travers le récit que venait de lui faire Carlo, ou plus simplement cette secrète complicité qu'ont certains lieux et les choses qui, comprenant le désir du pèlerin, se révèlent à lui dès le premier contact ?
     
    - Rien n'a été changé dans la disposition de la pièce, dit Carlo, Anne s'est installée ici il y a un an. Le jour de ses dix-huit ans je lui ai donné la clef de cette pièce fermée depuis bien longtemps, depuis la mort de ma petite sœur et la vie y a repris. C'est un peu comme si quelqu'un avait dormi là et s'était soudain réveillé.
     
    La chambre, comme toutes les pièces de la vieille demeure des Batesti, paraissait immense et vide. Un lit qui avait été autrefois surmonté d'un baldaquin, dont ne subsistaient que les colonnettes à moulures, en occupait le centre. C'était un lit large et profond et l'on y aurait plus facilement imaginé un couple d'amants qu'une jeune fille solitaire.
     
    Deux commodes trapues dont les tiroirs s'ornaient de grosses poignées de bronze, un coffre bas, une table de bois noir et quelques sièges à dossier droit recouvert d'une tapisserie, qui montrait plus de corde que de couleurs, composaient le mobilier.
     
    Jean-Louis, à la suite de Carlo, s'avança sur un tapis qui devait dater de la même époque que le lit et cachait le centre d'un beau plancher à croisillons sous des motifs de chasse amputés par l'usure des pas, comme si les visiteurs avaient emporté au cours des ans un peu de laine à leurs semelles.
     
    Le mur qui faisait face au lit disparaissait derrière des cadres accrochés de part et d'autre d'une grande glace dont le tain sclérosé de plaques noires ne rendait que des morceaux de reflets. L'ensemble aurait dû être austère ; comme ces chambres historiques où l'on s'est efforcé de retenir l'atmosphère qui enveloppa la mort d'un grand homme, mais le soleil l'inondait d'une lumière d'arc-en-ciel à travers les losanges colorés des vitraux et deux orchidées bleues posées au bord d'un vase sur la table noire, comme deux insectes d'apocalypse, se préparant à un vol meurtrier, animaient tout le décor.
     
    - C'est mon frère qui « fabrique » ces orchidées, dit Carlo, s'apercevant que les fleurs avaient attiré, par leur luxuriante et insolite exubérance, les premiers regards de Jean-Louis.
     
    Ces fleurs, Jean-Louis les avait d'ailleurs reconnues et il se souvint du pot qui en contenait de toutes semblables et qu'il avait renversé dans la serre de son père. Ainsi s'expliquait la passion de Louis Malterre pour les orchidées bleues et aussi le nom d'Anna Batesti que Jean-Louis avait lu, en ramassant les fleurs brisées, sur une plaquette de bois jaune.
     
    - La première orchidée bleue, continuait Carlo, a fleuri cinq ans jour pour jour après la mort d'Anna.
     
    De la même manière que Jean-Louis avait deviné qu'il pénétrait dans la chambre de la femme que son père avait aimée, il reconnut au milieu des portraits le visage de celle-ci avant que Carlo ne désigne le tableau.
     
    Jusqu'à cet instant, Anna Batesti, qui était née pour lui sur une tombe, avait été un personnage irréel, un être de conte inventé pour la beauté cruelle d'une légende incroyable. Ce n'était même pas un fantôme, c'était plutôt un mythe obsédant. Maintenant, dans un cadre épais et doré, sans une moulure, qui tranchait par sa sobriété sur les autres plus anciens qui cernaient d'étranges visages minces, Anna lui apparaissait pleine d'une vie frémissante, à fleur de peau.
     
    - Ce portrait a été peint deux mois avant l'accident, dit Carlo, par un peintre hollandais qui séjournait à Sienne. Elle était bien ainsi, les yeux baissés quand il la faisait poser là, en plein soleil sur la terrasse.
     
    C'était une tête de jeune fille que l'artiste avait peinte et cependant Anna paraissait charnelle et désirable. On devinait aux courbes souples et pleines qui glissaient du cou, un buste doré et le mouvement des épaules rapprochées en avant n'était pas un mouvement de prudence, mais comme un effort de tout le buste pour s'insinuer dans l'étroitesse du cadre. Les yeux baissés, soutenus par un léger cerne que prolongeait l'ombre des cils, paraissaient bruns sous l'arc haut tendu des sourcils. On devinait une oreille minuscule sous la chute en spirale épaisse mais légère des cheveux partagés par une raie au-dessus d'un front large, bronzé par le soleil toscan. Un nez droit, un peu long

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