Une tombe en Toscane
goûtait un calme bienfaisant. Jamais autant qu'en cet instant il ne s'était senti à l'aise, c'était un peu comme s'il était citoyen de cette cité.
Le marbre veiné de gris de la fontaine Gaia, l'horloge à aiguille unique - sans doute parce qu'on ne se souciait que d'une heure approximative – qui mettait son œil blanc de cyclope protecteur à la façade de la tour du Palazzo publico, les allées et venues de deux carabiniers qui connaissaient tous les passants, le vendeur de cartoline dont la joue n'avait pas connu le rasoir depuis longtemps, tout lui paraissait familier, naturel et sain.
Anne, qui s'était tue, observant elle aussi le vol des pigeons, répondait au salut des carabiniers qui, en passant devant leur table, avaient soulevé d'un geste amical et respectueux leur main gantée de blanc jusqu'à la visière de leurs petites casquettes posées bien droites sur leurs cheveux de jais.
« Pour elle, tout doit paraître ici immuable et définitif, pensa Jean-Louis. Elle-même est une sorte d'évidence historique dans ce décor. Elle doit être comme ces plantes qui dépérissent et meurent quand on les transplante. »
Les cheveux blonds eurent un balancement soyeux, des particules de lumière y restèrent accrochées, comme si le soleil était une poussière d'or, et Anne sourit.
- Vous pensez rester longtemps à Sienne, c'est pour organiser le programme des visites...
– Je ne sais pas. J'ai une usine importante en France – le mot usine paraissait inadaptable, comme s'il désignait une chose qui n'existait pas encore -, mais je vous en prie, faites le programme comme si je ne devais jamais partir.
Il avait lancé cela, parce que toutes les perspectives d'un départ lui étaient pénibles et il découvrit que, depuis le matin, il n'avait pas une seule fois pensé à son père. Comme lui, à cette même place, s'était-il trouvé là heureux, avec la brune Anna à son côté, au bar de l'Esperanza.
Anne comprit que la pensée de Jean-Louis venait de quitter Sienne. Carlo la veille lui avait raconté la fin de l'histoire de Louis Malterre ; elle estima le moment venu pour dire à cet homme qui paraissait soudain triste et vieux dans son complet gris qu'elle n'oubliait pas les troublantes raisons de son voyage en Toscane.
- Ce doit être à la fois merveilleux et désolant de découvrir que son père est finalement tout différent de l'homme qu'on a connu, d'apprendre qu'il a été romanesque, qu'il a vécu une aventure unique, qu'il a souffert un inoubliable chagrin. J'imagine que pour vous ce dut être comme une course au trésor, le trésor étant la certitude à obtenir.
Jean-Louis n'avait jamais envisagé que des termes semblables puissent s'appliquer à ce qu'il considérait comme le premier drame de sa vie. Depuis la mort de son père, s'il essayait d'analyser ce qu'il était advenu de son existence, il pouvait admettre qu'elle était effectivement devenue une sorte de course non au trésor, mais à la foi. Son père depuis l'enfance lui était une religion. Il s'était trouvé dans la position du croyant qui constate soudain qu'on ne lui a pas tout dit de son dieu, que celui-ci a des côtés insolites qui ne sont pas justifiables par son enseignement.
S'il avait fait le voyage d'Alcobaça, s'il était venu à Sienne, c'était moins pour satisfaire une curiosité inquiète que pour expliquer, en raison de la foi qu'il possédait en son père, les actes ignorés de celui-ci. Ce qu'il était venu chercher, c'était une confirmation dans sa croyance qui lèverait le doute. Maintenant qu'il détenait les faits, il lui restait à les incorporer dans la règle. C'est parce que cela lui paraissait impossible qu'il souffrait.
- Le trésor était vraiment une certitude à obtenir, dit-il en se tournant vers Anne, mais je ne l'ai pas encore obtenue.
Anne lui parut soudain bien jeune pour pénétrer aussi gravement dans le secret de son problème. Avec toute autre – et en cela il aurait inconsciemment obéi aux préceptes paternels qui conseillaient de tenir toujours les femmes éloignées des choses sérieuses - il aurait rompu la conversation, mais Anne était la nièce d'Anna, elle lui ressemblait et puis le charme envoûtant de Sienne justifiait tout.
- Vous ne l'obtiendrez, dit Anne, nulle part ailleurs qu'ici et puis, sans le doute, comme toutes les croyances seraient fades et combien toutes les paresses de l'esprit seraient
Weitere Kostenlose Bücher