Une tombe en Toscane
peut-être, une bouche épanouie mais close qui retenait un sourire ou même un rire juvénile presque enfantin, ajoutaient à l'ovale du visage aux pommettes fondues, la réalité de la vie.
Jean-Louis fut ébloui par tant de beauté suggérée par l'artiste et il voulut imaginer le visage de son père à côté de celui-ci. Louis Malterre avait vu ces yeux s'ouvrir dans le désir de l'amour avant d'être clos par la mort. Pour lui, cette bouche avait libéré des rires et ces cheveux avaient été balancés d'un mouvement de tête. Cette épaule avait connu le poids de sa main lourde de tendresse.
Mais ce n'était pas à son père qu'Anna avait souri, c'était à un jeune homme qui lui était moins étranger qu'à lui, Jean-Louis.
Anna demeurerait ainsi éternellement dans sa jeunesse. Pour l'homme qu'elle avait aimé, elle s'était évanouie comme les héroïnes des contes, qui naissent d'une brume matinale et meurent dans le brouillard triste d'un étang.
- Elle était belle, dit Carlo, que le silence de Jean-Louis troublait.
- Elle était belle, soupira le jeune homme, belle comme une insaisissable déesse.
Peut-être aurait-il ajouté quelque chose si la porte ne s'était pas brusquement ouverte pour livrer passage à Anne, la nièce de la morte, fille de Carlo.
Jean-Louis se retourna et il eut l'impression déroutante que la jeune fille du portrait était brusquement devenue blonde et vivante et qu'elle s'avançait vers lui avec le sourire.
- Ma fille, dit Carlo.
- Elle ressemble à Anna, ne put s'empêcher de dire Jean-Louis interrompant les présentations.
Mais Carlo, qui n'avait pas entendu, expliquait déjà à Anne que M. Malterre était le fils du Français qui avait été le fiancé d'Anna.
– Alors, nous sommes un peu cousins, dit-elle.
– Voyons, Anne, dit Carlo, qui vit là une inconscience de langage.
- C'est vrai, nous sommes un peu cousins, reprit Jean-Louis, tout en trouvant absurde ce faux cousinage établi par-delà la mort et tant de drames inoubliables.
Plus tard, ayant regagné sa chambre du Palazzo, il se dit, penché à la fenêtre et observant en bas du jardin, sur la route des remparts, deux fillettes qui jouaient à la marelle sous un lampadaire, que c'était Anne la plus raisonnablement vivante et que les morts ne pouvaient trouver nulle moquerie et nulle ambiguïté dans ce lien factice créé à travers eux par une jeune fille qui ne s'embarrassait pas d'un langage logique, destructeur de légende.
Et puis la nuit toscane apportait à l'esprit et au corps une telle sérénité que les êtres retrouvaient leurs vraies places, les valeurs humaines leurs proportions authentiques et que la mort elle-même cessait de n'être qu'une affliction pour ce qui avait don de vie.
Le lendemain, alors que Jean-Louis achevait son petit déjeuner en se demandant comment il pourrait à nouveau voir le portrait d'Anna, Anne se fit annoncer.
Il la rejoignit dans le hall, où il trouva la jeune fille en conversation avec la comtesse. Ce matin-là Anne portait une jupe bleue à plis et, sous une veste de daim, un corsage blanc fermé au col par un grand nœud amidonné posé là comme un papillon naturalisé. Ses cheveux blonds retombaient en ondes souples jusqu'aux épaules et il y avait dans ses yeux le même sourire que sur ses lèvres.
– Bonjour, cousine, dit Jean-Louis.
– Oh ! dit-elle, c'était un peu déplacé de ma part de lancer ainsi cette parenté. J'ai dû vous paraître affreusement mal élevée.
Elle baissa les yeux avec une feinte humilité, car son sourire devint plus éclatant pour montrer qu'elle ne se prenait pas au jeu hypocrite de l'excuse.
Anne parlait français, presque sans accent, mais en plaçant, comme dans sa langue maternelle, la tonique sur l'antépénultième syllabe, ce qui faisait ondoyer les mots.
- À Sienne, dit Jean-Louis, je suis votre cousin. N'en parlons plus, et dites-moi ce qui me vaut l'honneur...
- Père me charge de vous transmettre une invitation à dîner pour ce soir et je viens vous proposer mes services comme guide, voilà.
- J'accepte les deux offres, mais je suis pris pour votre cité d'une curiosité supertouristique et je serai un visiteur exigeant.
- Pas autant que je serai un guide prolixe. Nous commencerons quand vous voudrez. Je n'ai pas de cours pendant une quinzaine...
Jean-Louis était déjà sous le charme de
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