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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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cette spontanéité. Il vit une interrogation dans les yeux bruns de la jeune fille.
     
    - Si nous commencions par aller jusqu'au Campo prendre l'apéritif?
     
    - Les Français qui viennent à Sienne commencent toujours par prendre un Campari en face du Palazzo publico, ils vont au bar de l'Esperanza, parce qu'il y a un merle.
     
    - Alors le choix est bon, et je suis sûr que ce merle raconte des histoires prodigieuses.
     
    - C'est un merle gibelin, dit Anne, le patron l'a acheté à Florence, il manque d'impartialité.
     
    Tous deux éclatèrent de rire et ils sortirent dans le soleil, tandis que le portier à dolman blanc s'inclinait gravement devant la jeune fille, parce qu'il savait qu'elle était une descendante des Batesti, banquiers des papes.
     
    - Le Campo, dit Anne qui prenait son rôle au sérieux, ce n'est pas une place comme les autres, comme il y en a dans toutes les villes d'Italie, non seulement c'est la plus belle, mais c'est la plus sûre. Tous les actes de l'histoire siennoise se sont joués là, guerre, épidémie, fêtes, exécutions, tout s'est passé sur la place que les Français disent être en forme de coquille Saint-Jacques. Tous les Siennois traversent le Campo, au moins une fois par jour. Sinon, ajouta-t-elle avec une emphase voulue et qui ne faisait qu'exagérer sa sincérité, sinon, ils ne pourraient pas vivre...
     
    - Vous parlez comme un Guide Bleu ou un Baedeker fougueux qui n'aurait pas à ménager de susceptibilités, rétorqua Jean-Louis qui avait envie de plaisanter sans raison.
     
    - Méfiez-vous, je ne peux pas être plus impartiale que le merle, je suis guelfe depuis six cents ans.
     
    Lentement, ils firent le tour du Campo, que l'ombre de la tour Mangia barrait comme la flèche d'un cadran solaire. Au passage, Anne nommait les palais et se montrait prête à raconter l'histoire de tous leurs propriétaires. Devant la fontaine Gaia, elle appela les pigeons qui s'abattirent autour d'elle quêtant les graines que l'on pouvait acheter à l'éventaire d'une petite vieille.
     
    Un homme qui passait voulut la photographier au milieu des pigeons, mais elle lui tourna le dos résolument et entraîna Jean-Louis vers le bar de l'Esperanza dont le patron, le ventre en avant et la serviette sur l'épaule, surveillait la terrasse. Ils bavardèrent longtemps après avoir un moment agacé le merle qui, du haut de sa cage accrochée à la façade, sifflait pour annoncer chaque client.
     
    Anne faisait sa troisième année de médecine. Elle allait avoir vingt ans. Il sut aussi que son oncle, celui qui était en train de faire fortune en cultivant des orchidées dans des serres, près de Fiesole, était un vieil original qui ne venait à Sienne que pour le premier Palio, car il était arbitre de la célèbre course, comme l'avaient toujours été les Batesti.
     
    – Il faudra voir le Palio, dit Anne avec une grande excitation. C'est comme une fresque du Pinturicchio qui s'anime, qui envahit les ruelles et le Campo. Pour nous, c'est encore autre chose. Dans les couleurs des pourpoints à crevés, dans le dessin des bannières que les gonfaloniers font virevolter et voler comme des tapis magiques au-dessus de leurs têtes, chaque soir pendant les jours qui précèdent le Palio, c'est Sienne qui revit dans sa splendeur grave et colorée.
     
    » Et puis, le jour du Palio, c'est formidable, comme dans les instants qui annoncent une bataille. Le Campo, que vous voyez là comme une place paisible, devient une arène. On vient aider les cantonniers qui doivent arracher le moindre brin d'herbe et la moindre touffe de mousse entre les pavés et l'on regarde monter autour de la place les tribunes, tandis qu'on égalise une couche de sable sur les dalles pour que les chevaux ne glissent pas. Et quand la grosse cloche de la tour Mangia sonne, les cavaliers arrivent. Chacun porte les couleurs et les espoirs d'une contrada, d'un quartier ; il y en a dix-sept.
     
    » À propos, dit-elle, vous êtes au Palazzo ; alors vous êtes de la contrada de la Panthère - et moi de la contrada de la Girafe -, nous sommes cousins mais ennemis, et je ne saurais trop vous conseiller de vous rendre à la chapelle de votre contrada pour y brûler un cierge, car la Panthère a peu de chances de gagner cette année.
     
    Jean-Louis, à entendre parler Anne du Palio et à voir les groupes de Siennois bavarder au soleil comme s'ils n'avaient rien de mieux à faire qu'être là à surveiller le vol des pigeons,

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