Une veuve romaine
précédent, je m’étais habillé et avais traîné dans l’appartement, afin de tester mes forces. J’avais été plutôt satisfait du résultat, mais j’étais néanmoins conscient qu’en me retrouvant dans la rue, j’aurais à affronter de plus grandes difficultés. Pour la première fois depuis que j’avais été si fort malmené, je préparai moi-même ma boisson du matin. Ensuite, après avoir versé de l’eau au perroquet, je regardai un peu partout avec l’œil du propriétaire. J’eus l’impression que la fissure du couloir s’élargissait régulièrement. J’apportai un gobelet à Helena. Dissimulant son inquiétude, elle fit semblant d’être à moitié endormie, tout en laissant apparaître une joue chaude au-dessus de la couverture pour que je puisse y déposer un baiser avant de partir.
— Surtout, sois prudent !…
— Prends soin de toi.
Je parvins à descendre l’escalier sur mes jambes en coton. Arrivé dans la rue, je vis un quidam écarquiller les yeux devant mes meurtrissures – ce qui m’incita à produire l’effort de remonter chercher un chapeau. Au cas où Helena aurait eu peur en entendant du bruit, je passai la tête dans sa chambre pour la rassurer.
Elle était partie.
Intrigué, je me retournai vers le couloir en tendant l’oreille. L’appartement était plongé dans le silence le plus absolu. Même le perroquet s’était rendormi.
J’écartai alors le rideau de ma chambre. Le gobelet que je lui avais apporté trônait maintenant au milieu du fatras que j’abandonnais toujours sur la tablette placée à la tête de mon lit : porte-plume, peigne, pièces de monnaie… Helena était dans mon lit. Dès qu’elle avait entendu la porte d’entrée se refermer sur moi, elle s’y était précipitée pour se pelotonner à ma place.
Ses yeux marron me défièrent comme ceux d’un chien qu’on a laissé seul et qui a sauté sur la couche de son maître.
Elle ne fit aucun mouvement. Pour toute explication, je me contentai d’agiter le chapeau, avant de m’avancer vers elle pour lui dire de nouveau au revoir. Mes lèvres rencontrèrent la même joue. Ensuite, au moment même où j’amorçais le mouvement de me relever, ses bras m’entourèrent le cou, et ses lèvres s’emparèrent des miennes. Je sentis mon estomac se contracter. Puis, après un bref instant d’incertitude, mes doutes s’évanouirent : j’avais retrouvé cette Helena que je connaissais ; la fille dont j’avais tellement envie, et qui me faisait clairement comprendre qu’elle aussi avait envie de moi…
Je fis un énorme effort sur moi-même. « Le boulot ! » grognai-je. Personne ne retarderait l’enterrement du cuisinier pour moi, si je restais ici pour faire des galipettes.
Me retenant toujours par le cou, Helena se contentait de sourire. Je m’efforçais sans grande conviction de me dégager, mais mes mains, qui avaient cessé de m’obéir, se livraient à des caresses de plus en plus précises. Ses yeux étaient tellement pleins d’amour et de promesses que j’étais prêt à oublier tout le reste.
« Le boulot, Marcus ! » répéta-t-elle après moi. Je l’embrassai encore et encore.
— Je crois qu’il est temps, murmurai-je à son oreille, que je rentre déjeuner tous les jours à la maison, comme tout citoyen romain qui se respecte…
Helena m’embrassa.
— Reste où tu es ! m’exclamai-je. Ne bouge surtout pas. Reste où tu es et attends-moi !
39
Cette fois-là, au moment où j’atteignis le bas des marches, des ouvriers déchargeaient leurs outils d’une charrette à bras. Un signe prometteur. Si le propriétaire faisait achever les travaux, cela signifiait sans doute que nous n’allions pas tarder à avoir de nouveaux locataires. Nous n’aurions plus l’impression de vivre dans un mausolée. Et quand je ne serais pas aussi pressé, je parviendrais certainement à persuader ces ouvriers de boucher la fissure du couloir.
Je me sentais de bonne humeur. Je n’avais pas oublié que j’étais parti assister à un enterrement, mais ma vie personnelle m’apparaissait tout à coup pleine de promesses.
C’étaient les calendes de septembre. À Rome, il faisait encore chaud jusque tard dans la soirée, alors que dans les régions du nord de l’Empire – en Bretagne, par exemple, où j’avais servi dans l’armée et, plus tard, rencontré Helena –, l’hiver devait déjà s’annoncer par un froid humide le matin, et par une obscurité
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